(La Havane) « Nous qui avons de bas revenus, nous avons peur que les prix augmentent », confie Fe Maria, 67 ans, reflétant l’inquiétude de nombreux Cubains alors que l’île fusionnera le 1er janvier ses deux monnaies, faisant grimper tarifs et salaires.

Le salaire minimum multiplié par cinq, le prix du pain vendu via le carnet d’approvisionnement (libreta) multiplié par 20 : les chiffres de cette réforme complexe, publiés tout au long de 165 pages du Journal officiel, donnent le tournis aux habitants.

Fe Maria Ramayo craint de perdre au passage. « Moi je vis de l’assistance » sociale, dit-elle.

Dans les rues de La Havane, où les files d’attente s’allongent face aux supermarchés — les pénuries s’étant aggravées ces derniers mois —, d’autres se veulent plus optimistes.

« L’État saura de quelle manière il va vendre les marchandises pour que nous, les pauvres, on puisse vivre », assure Roberto Periut, retraité de 77 ans.

« Notre pays a besoin d’un changement et quelle meilleure façon de commencer qu’avec l’économie, qui est un domaine très important, qui peut fournir une base plus stable pour un nouveau développement », estime Liurys Costa, étudiante en biochimie de 20 ans.

C’est l’objectif du gouvernement communiste : en mettant fin à la cohabitation entre deux monnaies locales, en vigueur depuis 26 ans, il veut rendre plus lisible et attractive l’économie de l’île aux yeux des investisseurs étrangers.

« Cuba sur l’échiquier international »

Le pays, affecté par le renforcement de l’embargo américain et privé des devises du tourisme par la pandémie de coronavirus, a plus que jamais besoin d’argent frais.

Pour Ricardo Torres, économiste de l’université de La Havane, « cette transformation permettra de replacer Cuba plus clairement sur l’échiquier international, pour rendre nos chiffres plus comparables avec ceux des autres pays ».

Et « bien sûr que ça facilite la prise de décisions et l’arrivée d’investisseurs potentiels ».

Le 1er janvier, le peso convertible (CUC), aligné artificiellement sur le dollar américain, commencera à être retiré de la circulation, pour disparaître six mois plus tard. Ne restera que le peso cubain (CUP), qui vaut 24 fois moins.

PHOTO YAMIL LAGE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le peso convertible n'est déjà plus accepté dans certains magasins cubains.

C’est une période de turbulences qui s’ouvre pour le pays, souligne Pavel Vidal, économiste cubain de l’Université Javeriana de Cali (Colombie) : « il va y avoir plusieurs mois d’instabilité monétaire et financière jusqu’à ce que les prix commencent à s’approcher de leurs valeurs d’équilibre ».

Pour contenir la forte inflation que prédisent les experts, le gouvernement a détaillé les prix devant s’appliquer à plusieurs dizaines de produits, de la livre de riz aux haricots noirs en passant par le lait, l’essence ou les allumettes.

Le pain quotidien de 80 grammes que chaque Cubain reçoit via la libreta verra son prix multiplié par 20, même s’il restera modique : un peso (4 centimes de dollar).

PHOTO RAMON ESPINOSA, ASSOCIATED PRESS

L’eau, le gaz, l’électricité et les transports augmenteront aussi.

Le salaire minimum passera lui à 2100 pesos (87 dollars), un bond de 525 %.

Le dollar comme refuge

Le CUP restera dans un premier temps au taux fixe de 24 pour un dollar, pour éviter qu’il ne s’effondre face au billet vert, récemment réintroduit sur l’île via l’ouverture de magasins d’électroménager et alimentaires où l’on ne peut payer qu’avec cette devise.

Mais sur le marché noir, le dollar, introuvable dans les banques et maisons de change cubaines, s’envole déjà depuis plusieurs mois.

« Avec une crise de cette ampleur, évidemment la monnaie étrangère a tendance à être un refuge, car sa valeur est garantie et elle permet d’accéder à des biens et services essentiels », les supermarchés en devises étant bien mieux achalandés que ceux en monnaie locale, note Ricardo Torres.

Tous les économistes s’accordent toutefois sur le fait que cette réforme est un mal nécessaire.

« Même s’il est inévitable que la population va souffrir, le résultat [de la réforme] devrait raviver l’intérêt des entreprises pour le marché cubain », estime John Kavulich, président du Conseil économique et commercial États-Unis/Cuba.

Derrière l’unification monétaire, se dessine aussi un vrai changement de philosophie, avec la volonté de supprimer progressivement la plupart des subventions : la libreta, matelas social emblématique de la révolution cubaine, qui bénéficie à tous les habitants quelles que soient leurs ressources, est ainsi vouée à disparaître.