Un navigateur québécois qui s'est échoué à Cuba lors d'une tempête, en janvier dernier, craint de se faire saisir la goélette à voile Grosse-Île par l'armée cubaine. Le bateau de 30 mètres gît sur le flanc au fond d'une baie depuis 35 jours, pendant que l'assureur tente de trouver une solution pour le remettre à flot.

«Les Cubains veulent énormément d'argent. Ils demandent 270 000 $ pour le renflouer et le remorquer à La Havane, alors que moi, si j'avais deux pompes de deux pouces et du courant sur le bateau, il serait déjà à flot. Structurellement, le bateau est intact», affirme le navigateur Didier Épars, qui est coincé dans un complexe touristique cubain géré par l'armée depuis l'incident.

Le navigateur et son fils Vincent quittaient l'île de Cuba vers la Floride lorsqu'ils ont essuyé des vents puissants de 50 noeuds (92 km/h), le 27 janvier. En tentant de se mettre à l'abri dans une baie tranquille près du parc national de Guanahacabibes, dans l'ouest de l'île, le navire a connu une panne de moteur. Le capitaine a alors décidé d'échouer volontairement le navire sur ce qui lui semblait être une plage, afin d'éviter d'aller se fracasser contre les rochers.

Les deux hommes s'en sont tirés indemnes, mais la situation est au beau fixe depuis ce jour. L'assureur du bateau, la compagnie britannique Concept Special Risks, «se traîne les pieds» depuis 35 jours, soutient M. Épars.

«Ils ont été plusieurs jours sans communiquer avec moi. Affaires mondiales Canada les a appelés, et on a reçu un courriel d'eux en fin de journée [hier]. Ils essaient de trouver une justification pour expliquer pourquoi je suis pris ici depuis 35 jours.» 

«La compagnie me dit qu'ils ont coupé les négociations avec les Cubains, parce qu'ils sont trop gourmands. Alors ils cherchent une solution aux États-Unis ou au Mexique ou aux îles Caïmans», précise-t-il.

Pillages quotidiens

Pendant ce temps, le bateau se fait piller toutes les nuits par des voleurs. «Je les vois avec ma lampe de poche. C'est comme un Réno-Dépôt : les gens viennent voler les cordages et coupent tout ce qu'ils peuvent.»

M. Épars affirme aussi que l'armée menace de saisir le bâtiment en échange de sa liberté. «Il y a deux colonels qui viennent me parler presque tous les jours pour des interrogatoires redondants. Ils veulent savoir si je donne des choses aux Cubains, si je leur fournis des pièces détachées», dit-il.

L'île de Cuba est reconnue pour être une des destinations touristiques les plus difficiles pour naviguer. «L'armée gère tout, et c'est très dictatorial, affirme le courtier en location de voiliers Yves Julien, qui fait affaire dans la région. Il faut enregistrer les bateaux entre chaque marina et il y a plein d'endroits où c'est interdit de mouiller. Ils ne veulent absolument pas que les gens contactent les habitants locaux. Il y a beaucoup de vérifications inopinées.»

Souvent qualifié de «dernière goélette à quille du Saint-Laurent», le Grosse-Île a connu sa part de difficultés ces dernières années. Construit en 1951, le bateau était à la base un caboteur à moteur utilisé par la Défense nationale pour ravitailler Grosse-Île à partir de Montmagny.

Après l'avoir acquis en 1991, M. Épars a entrepris de coûteuses rénovations qui ont dépassé le million de dollars, lui ajoutant des mâts pour le transformer en goélette à voile. Malgré de nombreuses demandes officielles, le ministère de la Culture et des Communications et la Ville de Québec ont refusé de contribuer financièrement à la restauration du bateau. «J'ai passé 30 ans à sauver ce bateau, relate M. Épars, qui demande que le gouvernement s'implique pour que le navire soit mis en sécurité. J'ai reçu un prix [du Conseil des monuments et sites du Québec] pour le travail que j'ai fait.»

En vertu du droit international, un navire battant pavillon canadien, comme le Grosse-Île, a un «droit de passage inoffensif» qui lui permet de naviguer dans les eaux territoriales cubaines sans être saisi.

«Les Cubains peuvent faire ce qu'ils veulent avec, mais pas tout à fait. Le droit international leur dicte de se garder une petite gêne», affirme André Braën, spécialiste du droit maritime à la faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa.

Ce droit de passage pourrait toutefois disparaître dans certains cas. «Si le bâtiment se livre à des activités criminelles ou à des activités de renseignement, par exemple, vous pouvez être sûr qu'ils vont saisir le bateau et le fouiller de fond en comble», ajoute M. Braën.

«Ce qui me surprend, c'est que les autorités canadiennes semblent plutôt passives. Elles doivent prêter assistance à ce Canadien et au navire», ajoute-t-il.

«En contact avec les autorités locales»

Joint par La Presse, Affaires mondiales Canada a simplement assuré que «des services consulaires sont fournis» et que «les agents consulaires à Cuba sont en contact avec les autorités locales pour recueillir de l'information supplémentaire».

M. Épars affirme que le temps commence à manquer et dit craindre que son bateau échoué ne provoque un désastre environnemental. «J'ai mis des matériaux d'absorption pour éviter qu'il y ait un dégât d'huile, dit-il. C'est un parc national ici. Je ne veux pas faire de la prison à Cuba. Mais avec la prochaine tempête, le bateau est à la merci des éléments et j'ai bien peur qu'on ne puisse contrôler les dommages.»

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Didier Épars