Manifestations, gaz lacrymogènes, pneus enflammés : depuis plus d'une semaine, les mêmes scènes se répètent dans les rues d'Haïti. Mais la paralysie du pays se fait sentir de plus en plus cruellement : les articles de première nécessité se raréfient et les soins de santé sont difficilement accessibles, a constaté notre collaborateur sur place.

Port-au-Prince - Le secteur de la santé subit de plein fouet les répercussions des mouvements de protestation des citoyens qui réclament depuis neuf jours le départ du président Jovenel Moïse. Manque d'équipements, absence du personnel médical... Plusieurs centres hospitaliers de la capitale peinent à assurer leur mission en ces temps de crise où la demande de soins de santé va grandissant. Des médias haïtiens font même état de pénurie d'oxygène dans les hôpitaux. 

L'insécurité touche très sévèrement l'Hôpital de l'Université d'État d'Haïti (HUEH), situé à quelques pas du palais présidentiel. Depuis le début de la crise, cette zone est devenue le théâtre d'affrontements entre policiers et manifestants. Lors de la troisième journée de la manifestation, le samedi 9 février, un adolescent de 14 ans a été atteint de deux projectiles et a rendu l'âme tout près de cet établissement. 

Tout est donc quasiment paralysé dans le plus grand hôpital public du pays, dont les travaux de reconstruction ne sont toujours pas achevés depuis 2013. « Il n'y a que deux seuls services qui sont encore en fonctionnement ici : la maternité et la pédiatrie. La salle des urgences est fermée depuis plusieurs jours. Même si l'administration a pris les mesures nécessaires pour faire marcher les choses, les médecins ne se rendent pas au poste, par peur. Est-ce qu'on peut les contraindre de risquer leur vie ? », s'interroge un responsable de logistique de l'HUEH qui n'a pas voulu que son nom soit divulgué.

« C'est très compliqué. Parfois, nos ambulances parcourent des dizaines de kilomètres pendant plusieurs heures, allant d'hôpital en hôpital avant de pouvoir trouver un endroit qui puisse accueillir les patients qu'on transporte », explique le directeur général du Centre ambulancier national (CAN), Didié Hérold Louis, au bout du fil. 

« Le problème est que beaucoup de centres hospitaliers ont déjà atteint leur pleine capacité d'accueil. » - Didié Hérold Louis

Placée sous l'égide du ministère de la Santé publique, cette institution met à la disposition de la population une ligne de secours pour signaler les cas d'urgence. « Le nombre d'appels qu'on reçoit augmente beaucoup. Et là encore, beaucoup de personnes n'arrivent pas à trouver de réponse, car la ligne téléphonique est saturée », a dit M. Louis. 

En outre, il a expliqué que 35 % des cas pris en charge par le CAN concernaient des femmes enceintes qui avaient besoin de se rendre dans un hôpital. « Nous ne pouvons pas faire les trajets à grande vitesse parce qu'on doit s'arrêter de temps en temps pour enlever les barricades sur les routes. Il est vrai que la population se montre très coopérative, mais ça nous retarde un peu », se plaint le directeur. 

Approvisionnement ardu

Une autre préoccupation : le manque de carburant. « Beaucoup de stations d'essence sont restées fermées en cette période et nous n'avons pas beaucoup de réserves, constate M. Louis. Les détaillants vont jusqu'à doubler le prix du carburant sur le marché informel, ce que nous ne pouvons pas nous permettre de payer. » 

Si les activités reprenaient peu à peu dans les rues de Port-au-Prince, selon l'AFP, les citoyens continuaient à avoir peur de sortir. Les barricades érigées sur différentes routes du pays rendent l'approvisionnement difficile, en essence, mais aussi en nourriture et en eau.

Le discours du président Jovenel Moïse, prononcé jeudi, n'a rien fait pour calmer les protestataires qui réclament sa démission. Dans la capitale, hier, des manifestants et les forces de l'ordre se sont de nouveau affrontés au neuvième jour de l'opération « pays lock » lancée par l'opposition. 

Depuis le 7 février, au moins sept personnes ont été tuées et les débordements ont entraîné d'importants dégâts matériels, principalement dans la capitale. 

Le gouvernement canadien a de nouveau changé hier son avertissement aux voyageurs concernant Haïti : il conseille maintenant d'éviter tout voyage.

- Avec l'Agence France-Presse et Le Nouvelliste de Port-au-Prince