À l'heure où vous lisez ces lignes, Bruno Blanchet est peut-être revenu de la «cérémonie de l'ayahuasca» qu'il prévoyait faire en Amazonie cette semaine. Une espèce de «voyage dans le cosmos» qu'il se proposait d'entreprendre avec un chaman rencontré là-bas, après avoir avalé un thé hallucinogène... Fort heureusement, avant ce périple astral, le «globe-troTerre» nous a accordé une entrevue à partir du Pérou, où le mal de l'altitude ne l'a pourtant pas empêché de répondre à nos questions sur le deuxième volume de La frousse autour du monde. Une entrevue à lire en s'imaginant Bruno sortant de sa première douche chaude en trois jours, le souffle un peu court, mais la voix chaleureuse.

Bruno Blanchet: Oh boy! J'ai la tête dans un étau. J'ai de la difficulté à m'adapter à l'altitude, je manque de souffle, je suis fatigué (NDLR: il se trouve à San Antonio, à 3800 mètres d'altitude). J'ai une pensée pour ceux qui vivent ça avec le sac à dos, dans le froid et la pluie. Mais j'espère que ça va aller pour la cérémonie de l'ayahuasca, la semaine prochaine... Tu te prépares trois jours avec le chaman, après ça, tu pars par en dedans et tu ressors parmi les planètes, il paraît!

 

Marie-Christine Blais: Tu es sûr que tu vas être correct?

Bruno Blanchet: Fais-toi z'en pas, je suis prêt. J'étais allé au Mexique avant que mon fils naisse (il y a un peu plus de 20 ans), j'étais un peu à la recherche d'un sens dans mes affaires... J'avais lu Castaneda (anthropologue américain qui a fait de nombreuses expériences mystiques) et j'y étais allé dans le but de rencontrer un chaman... et je ne l'avais pas trouvé à l'époque. Mais là, cette fois, je crois que ça y est. Qu'est-ce que tu veux, au lieu de trois mois à méditer dans un monastère bouddhiste, moi, je préfère ce genre de truc plus extrême. Tiens, disons que c'est comme une opération esthétique de l'âme, tu comprends...

MCB: Disons que je serai plus rassurée quand j'aurai à lire ta chronique sur le sujet!

BB: Ben, moi, ça me rassure d'être encore capable de faire ce genre de truc. Je trouve que je me suis un peu amolli cette année. J'ai visité 11 pays, dont certains pas faciles, mais tout était assez organisé; mêmes les questions étaient prêtes et ma chambre d'hôtel était réservée (NDLR: c'était pour l'émission Partir autrement, qui devrait être télédiffusée sur TV5 à compter de janvier prochain) ... C'est une chose précieuse, pour moi, l'envie de faire une folie. C'est d'être en Tanzanie, sur un vélo pourri, et d'être profondément heureux, tu comprends? Quand je suis retourné tout seul au Rwanda et au Burundi (en août et septembre derniers), c'était le retour à la case départ et j'étais tellement bien. Tu réapprends, encore une fois, à voyager. Le matin, tu te lèves, tu vas prendre ton petit-déjeuner et ça commence à ce moment-là: bon, où est le restaurant? Qu'est-ce que je vais manger? Le serveur va-t-il me comprendre? Comment est-ce que je vais payer? Est-ce que je laisse un pourboire? Et toutes ces questions, toutes ces choses que j'ignore, c'est seulement cinq minutes dans ma journée, qui va se poursuivre de cette manière. C'est ça, voyager, pour moi. C'est être en vie tout le temps! C'est entendre un murmure autour de moi, celui des voix, mais un murmure auquel je ne comprends rien! J'ai été deux jours au Québec, et je comprenais tout, partout. Et je voulais tout écouter! C'était pas reposant!

MCB: L'an dernier, tu as beaucoup voyagé avec Boris, ton fils. C'était important de voyager ensemble?

BB: C'était important de lui donner l'envie d'être curieux. Et je pense que ç'a marché. On a passé un an à dormir dans la même chambre, parfois dans le même lit et même parfois dans le même sac de couchage.

MCB: Tu faisais dans la paternité extrême!

BB: Ah, ah, ah, c'est exactement ça. C'était précieux d'aller au bout de quelque chose ensemble, avec lui. Le deuxième tome de La frousse autour du monde, c'était sans doute aussi une façon d'aller au bout de quelque chose, mais tout seul. Je me croyais blindé après un an de voyage. J'ai littéralement plongé tête première dans tout ce que je voyais. Et je me suis brisé le nez comme il faut, parfois. J'ai pété les plombs en Chine, en Inde...»

Des fois, j'avais l'impression d'être dans une Musicographie, tu sais, quand on entend une voix off qui dit: «Après la pause, la descente aux enfers!» Mais en même temps, j'ai vécu des moments tellement lumineux, cette année-là. Le Yémen, l'Éthiopie...

MCB: Et toujours, tu écrivais tes chroniques, même si tu n'avais pas d'ordinateur avec toi?

BB: En fait, c'était une des vraies difficultés de cette année-là: j'écrivais toujours mes chroniques à partir de cafés internet... et il y en avait pas mal moins qu'aujourd'hui! Je me souviens encore de Chongqing (en Chine); ça m'a pris deux heures. Trouver un café internet dans un coin pas très sûr, me retrouver devant 150 ordinateurs, dont 149 sont occupés par des jeunes qui jouent à Doom (jeu vidéo particulièrement dur), sans écouteurs et en fumant!!! J'avais juste des notes que j'avais gribouillées sur des petits bouts de papier, à bord d'un bateau incroyablement pourri. J'ai écrit le texte sur le seul ordi qui restait, je l'ai imprimé pour le relire à l'hôtel, je l'ai corrigé dans ma chambre et quand je suis revenu... le café internet était fermé! J'étais sans connaissance, il me restait à peine deux heures avant de repartir! Et pourtant, ce dont j'avais le plus peur, c'était de me faire voler mes textes. Ils étaient devenus tellement précieux, c'était ma bouée de sauvetage, on pouvait m'attaquer et tout me prendre, mais pas mes textes!

MCB: Pour le premier volume, tu n'avais pas eu l'occasion de retravailler tes textes - en fait, on ne t'a pas laissé faire! Mais pour le deuxième, tu as pu. Et tu l'as fait.

BB: Oui, à cause des conditions dans lesquelles ils avaient été écrits. J'ai réussi à retrouver mes versions originales - qui étaient toujours 10 fois trop longues - et, sans changer les textes publiés, leur ajouter des suppléments d'informations, récupérer des petits bouts que j'avais enlevés à l'époque...

MCB: Tu vas revenir au Québec pour le Salon du livre de Montréal (du 16 au 28 novembre). L'an dernier, pour le premier volume, ç'avait été intense. Cette fois, est-ce que ça te fait peur ou plaisir?

BB: C'est pas comme ça que je me pose la question. Moi, ce que j'aime, avec La frousse, c'est le rapport aux lecteurs. Ceux qui m'écrivent des courriels et ceux que je rencontre en personne. C'est quand le livre devient autre chose parce qu'il est lu - ça fait quétaine, hein, dit comme ça, mais c'est ça pareil. Je me souviens d'un monsieur, je crois qu'il était d'Amqui, il avait 60 ans, et il m'a dit qu'il me lisait, qu'il me trouvait très courageux, et que cela l'avait finalement décidé à passer un mois en Italie, alors qu'il n'avait jamais voyagé de sa vie. C'est ce qui m'émeut, c'est ce qui me tient. J'aime écrire, j'aime voyager. L'écriture permet de voyager, le voyage permet d'écrire. Mais soudain, pour quelqu'un que je ne connais pas, ça devient aussi une idée, celle de voyager à son tour, peut-être d'écrire...

La frousse, l'histoire

Lancé à l'automne 2008 et vendu depuis à plus de 25 000 exemplaires (un best-seller au Québec tourne habituellement autour des 3000 exemplaires!), le tome 1 de La frousse autour du monde relatait le périple de Bruno Blanchet qui avait décidé, à 40 ans, de parcourir le monde pendant un an, avec des moyens réduits. Pour l'occasion, il avait offert à La Presse d'écrire des chroniques hebdomadaires (relues par la journaliste Marie-Christine Blais), qui ont connu assez rapidement un grand succès, tant le style et les aventures de Bruno se démarquaient.

À la fin de ce premier volume, il prenait une décision encore plus audacieuse: il déchirait son billet de retour au Québec et décidait de poursuivre son périple. C'est ce que relate le tome 2 de La frousse autour du monde. Il couvre la deuxième année de voyage de Bruno Blanchet dans le monde, d'avril 2005 à juillet 2006. Un Bruno Blanchet par moments déboussolé parce qu'il n'a plus de date butoir, plus d'obligation de retour, plus de contraintes hormis celles qu'il s'impose - et celle d'écrire. Il va ainsi découvrir - et décrire - le Japon, le désert de Gobi, le Cambodge, l'Inde, la Chine... Et comme, par moments, ces lieux le mettent un peu à l'envers, certaines pages du livre sont, elles, littéralement à l'envers, à lire à l'aide d'un miroir. Vous avez dit différent? Vous avez dit Bruno Blanchet.

Bruno Blanchet, La frousse autour du monde 2, éditions La Presse, en magasin.

 

Bruno Blanchet, La frousse autour du monde 2, éditions La Presse, en magasin.