Même s'ils désertent les bancs d'église, les Québécois tiennent aux funérailles catholiques. Signe que face à la mort, la foi a la vie dure.

Les funérailles en église sont plus populaires au Québec que partout ailleurs au pays, et ce, même si la Belle Province est celle où la messe hebdomadaire attire le moins de fidèles.

 

Voilà qui illustre bien le paradoxe québécois de la vie après la mort. Cette croyance a la vie dure, même chez ceux qui semblent avoir tourné le dos au curé.

«Quand on demande aux gens s'ils croient en Dieu, ils vont souvent répondre non parce qu'ils s'imaginent celui de la Bible, commente Daniel Baril, du Mouvement laïque québécois, qui a fait l'an dernier une étude sur la définition de l'athéisme. Mais on ne peut pas considérer que répondre non à cette question signifie qu'on est athée.»

Daniel Baril se souvient que son fils, qui n'a pas du tout été élevé dans la religion, lui a confié, arrivé à la vingtaine, qu'il était convaincu qu'il y avait une vie après la mort. «C'est une croyance qui demeure souvent, même quand on cesse de croire en Dieu.»

La vie après la mort est en quelque sorte le «degré zéro» de la spiritualité - ou de l'athéisme, selon M. Baril. Plus du tiers des catholiques de la province ne se rendent jamais à la messe, et moins du quart y vont chaque semaine. Par contre, près des trois quarts croient au paradis, et les deux tiers prévoient avoir des funérailles religieuses. C'est le plus haut taux au Canada, selon une étude faite en 2000 par Reginald Bibby, sociologue des religions de l'Université de Lethbridge.

«La croyance en l'au-delà est un archétype extrêmement important et ancien, qui existe depuis le début de la conscience humaine, depuis l'homme de Néandertal», explique Luce Des Aulniers, anthropologue de l'UQAM qui étudie les rites et croyances entourant la mort. «La religion catholique est experte dans l'art d'organiser un système symbolique extrêmement riche par rapport à l'au-delà. Elle a gardé le monopole du sens des funérailles. L'institution est en déroute au Québec, mais, depuis 30 ans, aucune solution alternative ne s'est imposée.»

Le dernier tabou

La récente campagne de publicité athée sur les autobus à Montréal («Dieu n'existe probablement pas. Alors cessez de vous inquiéter et profitez de la vie») aurait probablement été moins bien reçue si elle avait affirmé: «Il n'y a rien après la mort», croit Mme Des Aulniers.

Cela dit, certains athées convaincus flirtent avec l'idée de s'attaquer au dernier tabou. «La vie perdrait-elle son but si nous cessions d'exister lorsque meurt notre cerveau?» demande le philosophe espagnol Fernando Savater, dans son livre La vie éternelle, éloge des incrédules. «Au contraire, rien ne donne plus de sens à la vie que de s'apercevoir que chaque moment de sensibilité est un don précieux.»

Raymond Lemieux, sociologue des religions à la retraite de l'Université Laval, donne souvent des formations dans des salons funéraires. Il est frappé par le nombre de gens endeuillés qui demandent une cérémonie religieuse alors qu'ils n'ont presque jamais mis les pieds à l'église. «Je suis allé récemment aux funérailles d'une jeune voisine, dit M. Lemieux. Ils avaient fait une très belle cérémonie au salon. Mais rendus au cimetière, il y a eu un flottement. Personne ne savait quoi faire.»

Les salons funéraires proposent de plus en plus des cérémonies non confessionnelles pour marquer le départ vers le cimetière, selon M. Lemieux. Mais ils font souvent le lien avec l'église pour une messe. «Quand mon grand-père est mort voilà 50 ans, c'est le curé qui donnait l'adresse d'un salon funéraire, dit M. Lemieux. Maintenant, c'est le salon funéraire qui donne le numéro du curé.»