On ne veut pas le savoir, que les saumons d'élevage ont des poux de mer. On préfère ignorer que le poulet qu'on mange n'a jamais vu le soleil. On ferme les yeux sur les conditions de travail difficiles des employés agricoles. «Mais il faut oser se poser des questions», dit Élise Desaulniers, qui lance aujourd'hui Je mange avec ma tête, les conséquences de nos choix alimentaires, aux éditions Stanké. «Reconnaître qu'il y a des problèmes, c'est déjà faire un grand pas.»

Au printemps 2008, Élise Desaulniers, jeune Montréalaise, travaillait chez Air France. «Je mangeais tout, tout, tout, se souvient-elle. En voyageant, j'ai goûté au chien en Chine, à des insectes. Rien ne me dégoûtait.»

La description d'un élevage industriel de poulets, lue dans un livre sur l'éthique animale, a changé sa vie. «J'ai pris conscience que le poulet est un animal intelligent, sensible, avec une hiérarchie sociale - il ressemble au chat sur le plan de son développement - qu'on traite comme un objet ou une machine à faire de la viande. On n'a aucune considération envers les animaux d'élevage. Ça ne marche pas, il y a un problème.»

La trentenaire a voulu se renseigner. Mais impossible de visiter les hangars de poulets de Saint-Félix-de-Valois, près de Joliette, proclamée «capitale de la volaille» par l'Office de tourisme de Lanaudière. «Je voulais savoir si c'était vrai qu'on coupe les becs des poulets», explique Mme Desaulniers.

Un éleveur du sud de Montréal lui a finalement ouvert les portes de ses poulaillers. Des centaines de poussins, livrés à l'âge de 24 heures, y grandissent sans voir la lumière du jour, jusqu'à l'abattage, moins de deux mois plus tard.

«Personne ne leur donne des coups de pied, mais ils ont peu d'espace, ça pue, il y a des oiseaux qui meurent, relate Mme Desaulniers. Les éleveurs font de leur mieux pour produire du poulet à grande échelle, avec le moins de risques pour la santé humaine, le moins cher possible. Mais le bien-être animal n'est pas pris en compte.»

La jeune femme a cessé de manger de la viande - «une décision consciente et morale» -, poursuivi ses recherches et réorienté sa carrière. Elle publie aujourd'hui un guide éthique et pratique, Je mange avec ma tête, les conséquences de nos choix alimentaires, aux éditions Stanké. Bien documenté, écrit avec une jolie plume qui sait faire sourire, le livre rend la philosophie - et la défense des animaux - presque digeste.

Les pires en Occident?

«J'ai l'impression que, parmi les pays occidentaux, on est les pires, regrette l'auteure. Aux États-Unis, les poulets vont devoir être dans des cages enrichies, avec perchoirs et nids. L'Europe va interdire de mettre les truies dans des cages étroites. Ailleurs, on change les choses, ici, on n'en parle même pas.»

Le livre vert sur la future politique bioalimentaire du Québec ne mentionne qu'une fois le bien-être animal, «comme façon de distinguer nos produits», dénonce Mme Desaulniers. Pourquoi ne pas proposer de compenser les pertes des producteurs qui enverraient leurs vaches dehors? «Les animaux sont capables de sentir la douleur, souligne-t-elle. Il faut en tenir compte et notre société ne le fait pas.»

Non, la carotte ne crie pas quand on la récolte: elle n'a pas de système nerveux. Mais les poissons ressentent la douleur, selon un comité scientifique de l'Union européenne. Les rats arthritiques choisissent de boire une eau mélangée à un analgésique au goût déplaisant plutôt qu'une eau sucrée, indice qu'ils «ont conscience de leur douleur et cherchent à l'enrayer», précise Mme Desaulniers. Seuls les invertébrés ne ressentiraient pas la douleur. Son conseil: manger des huîtres, riches en fer.

Convaincre Sarah Palin

La végétalienne s'imagine dîner chez la carnivore Sarah Palin pour réfuter ses arguments pro-viande. C'est naturel? Les tsunamis le sont aussi, sans être bons. C'est dans notre culture? L'esclavagisme l'était aussi, on l'a aboli. Les animaux n'hésiteraient pas, eux, à nous manger? Nous sommes capables de sentiments moraux à sens unique, par exemple envers les handicapés mentaux.

«Je suis une végétalienne infidèle, précise-t-elle. Si je mange chez mes parents, je ne vais pas demander à ma mère de faire un gâteau sans oeufs. J'aimerais mieux que 50% des Québécois réduisent leur consommation de viande de moitié, que 10% de la population soit végétarienne. Ce serait déjà un pas.»

Aux partis politiques, Mme Desaulniers demande plus: lier le soutien de l'État aux bonnes pratiques agricoles, légiférer sur les conditions d'élevage, renforcer les normes d'étiquetage, aider les familles à faible revenu à bien s'alimenter. «Si on veut que les choses changent à grande échelle, constate-t-elle, il faut une action politique.»

Je mange avec ma tête, les conséquences de nos choix alimentaires d'Élise Desaulniers, éd. Stanké, 255 p., 27,95$

Élise Desaulniers tient un blogue: penseravantdouvrirlabouche.com