Samuel* était encore aux couches quand, du haut de ses deux ans et demi, ulcéré, il a lancé à sa mère: «Je ne suis pas un garçon! Je suis une fille!»

Imaginez sa rage: sa mère venait de le féliciter. «Mon bon garçon...»

Ce n'était pas la première fois que son fils la surprenait.

Il la surprend depuis toujours, en fait. Car Samuel ne s'est jamais intéressé aux mêmes jouets que son frère aîné. Aux autos, il préférait de loin les princesses et les dînettes.

Quelques mois plus tard, la mère fixe donc un premier rendez-vous chez le psychiatre. Samuel a 3 ans. Il commence à faire des colères. De grosses colères. Il agresse les copains à la garderie. «On pensait qu'il était malheureux», dit-elle.

La psychiatre conseille aux parents de monter deux garde-robes pour Samuel: une de fille, une de garçon. «Pour son bien-être psychologique.» À la maison, il enfile toujours de belles robes roses. Mais pour la garderie, il préfère ses pantalons. Un jour, pourtant, le pantalon prend le bord.

«Aussitôt qu'il a commencé à porter des vêtements de fille, son comportement a changé. Il était en paix.»

En racontant son histoire, la mère, qui passe constamment du passé au présent, s'interrompt sans arrêt, parlant tantôt de Samuel, tantôt de... Samantha*, son nouveau prénom. Car il lui a fallu se rendre à l'évidence : Samuel était un enfant triste, alors que Samantha, enfin, s'épanouissait. «C'est un grand deuil à faire. C'est un processus très dur, avoue-t-elle. C'est comme si j'avais perdu mon garçon. Samuel

n'existe plus.»

«Mais ce deuil est essentiel à faire, enchaîne le père, pour mieux recevoir

notre fille.»

Pourtant, lorsque nous l'avons rencontrée, il n'y a pas eu de doute possible. Samantha est une fille. Très fille. Aujourd'hui âgée de 11 ans, elle va à l'école primaire. Ses cheveux longs sont soigneusement coiffés, une mèche tombe coquettement sur son oeil droit. Les doigts fins, la bouche pulpeuse, elle arbore fièrement un tatouage temporaire, « amitié » en japonais.

Pour nous accueillir, elle a planté de petits parasols dans des bougies et sorti des biscuits. Elle nous raconte qu'elle aime l'artisanat, la danse, la photographie. Quand elle parle du passé, elle dit pudiquement: «Le vieux moi.» Puis elle déclare que, la veille, enfin, elle a fait son premier coming out auprès de ses copines. «Je n'aimais vraiment pas cacher la vérité, dit-elle. Alors je leur ai dit qu'au début, j'étais un peu comme un gars. Elles m'ont dit que c'était bien correct.»

À 11 ans, est-ce les enfants comprennent vraiment? Ses parents, eux, n'en sont pas sûrs. S'ils appuient sa franchise, ils craignent aussi les représailles. Pas seulement des copines, mais aussi des parents. Car ils en ont entendu des vertes et des pas mûres à la garderie, puis à l'école. Des parents qui ne veulent pas que leur enfant se tienne avec Samantha, il y en a.

Mais le pire reste à venir. Car dans deux ans, Samantha ira au secondaire. Dans un nouvel univers. Loin du cocon du primaire, où Samantha a apprivoisé les toilettes des filles, mis au point des techniques pour se changer avant les cours d'éducation physique, bref, fait sa place. Sa mère l'avoue sans détour: «Je suis inquiète.

Énormément inquiète.»

D'ici là, Samantha devrait commencer sa puberté. L'âge où apparaît la pomme d'Adam, où la voix mue, où les épaules s'élargissent. Un âge difficile pour un enfant comme elle. Depuis une dizaine d'années, les médecins peuvent toutefois prescrire ce qu'on appelle des bloqueurs d'hormones, pour éviter que le corps ne se transforme. La voix de Samantha ne muera donc pas.

Dans quelques années, si elle le souhaite et si son médecin l'approuve, elle pourra aussi prendre des hormones féminines, la première étape vers le changement sexe. Mais elle n'en est pas là. Pas encore, mais presque. Interrogée sur son intimité, elle avoue: «Prendre une douche, c'est ce que

j'aime le moins...»

* Noms fictifs.