Difficile, en 2010, d'entrer dans un restaurant spécialisé en poisson sans se demander quelle sera la politique des lieux concernant la surpêche, les espèces menacées, la pisciculture industrielle et les pratiques de pêches destructrices.

Greenpeace a sonné l'alarme récemment sur les horreurs environnementales causées par notre grandissante consommation de poisson. Les Relais et Châteaux aussi, avec à leur barre le chef français Olivier Roellinger qui a enjoint toutes les grandes tables de cesser de servir les espèces les plus menacées, dont le thon rouge. Le livre Notre mer nourricière de Taras Grescoe (éditions VLB) nous a aussi ouvert l'esprit.

Bref, nous ont expliqué tous ces gens, le poisson (et les fruits de mer) n'est plus l'aliment parfait et innocent longtemps mis de l'avant par les nutritionnistes comme la solution à tous nos maux de santé, à ajouter à tout prix à nos diètes nord-américaines. Le poisson et les fruits de mer arrivent dans nos assiettes à des prix écologiques souvent extrêmement élevés. Notre consommation doit devenir de plus en plus informée. Certaines espèces doivent être évitées à tout prix. Et d'autres consommées avec circonspection.

Le gastronome averti doit donc maintenant réfléchir avec ses papilles, mais aussi sa sensibilité environnementale quand il mange du poisson. On en est rendus là.

Sur la côte Ouest nord-américaine, cette vigilance est présente depuis plusieurs années. Nombreux sont les restaurants qui adoptent des codes de conduite éthique en matière d'achats marins et en parlent à leur clientèle. Ici, la démarche tarde. Les restaurants qui refusent de vendre certains types de poisson dont l'élevage industriel est particulièrement néfaste ou alors des espèces menacées par des techniques de pêche dévastatrices se comptent encore, malheureusement, sur le bout des doigts.

Dommage. Parce que dès que l'on sait dans quelles conditions grandissent certains saumons d'élevage, par exemple, l'appétit en prend un coup. Et peut-on encore déguster du thon rouge l'esprit en paix, sans culpabilité, sans avoir l'impression de manger le dernier, façon panda ou tigre du Bengale?

Voilà pourquoi il est étonnant que le nouveau restaurant spécialisé en poisson Kitchen Galerie Poisson (KGP), ouvert cet été par la très talentueuse équipe derrière le Kitchen Galerie et Chez Roger, ait décidé de ne prendre aucun parti pris écolo. Position qui se reflète autant par le choix des produits - dont plusieurs sont sur les listes rouges des groupes environnementaux comme l'espadon ou alors le saumon d'élevage non bio - que par l'absence d'information sur les produits. Les serveurs, aussi serviables et professionnels soient-ils, semblaient en effet étonnés par mes questions sur l'origine et les méthodes de pêche des poissons lors de mes passages.

Étonnant et dommage de la part d'une équipe dont on attend plus.

Étonnant et dommage parce que le KGP compte sur un chef solide, Matthieu Cloutier, qui sait préparer des plats souvent robustes mais savoureux, et qui aurait pu, justement, nous amener sur le chemin des poissons écologiquement corrects et nous faire découvrir tout ce que cette voie offre. Dommage, parce qu'on a vraiment envie de manger un peu plus de poisson, par les temps qui courent, après la surdose de restaurants spécialisés en charcuteries et en viandes braisées des dernières années.

Le KGP est installé dans le Vieux-Montréal, rue Notre-Dame, près de McGill. Comme au Kitchen Galerie de la rue Jean-Talon, on a peu investi dans le décor, ce qui lui donne des airs urbains rustiques, marqués par un mur de brique, un grand comptoir et un mur où on a suspendu de simples caisses de bois pour y entasser les bouteilles. Au mur, une ardoise annonce les plats et les produits du jour.

Sur cette liste, on trouve par exemple les caviars du moment, les huîtres - rasp-

berry point, french kiss... - servies très simplement. Il y a aussi les poissons du jour qui seront cuits à la plancha et servis avec l'accompagnement du jour. Ainsi, saumon, espadon, flétan, mérou, cuits avec précision, se retrouvent, par exemple, en compagnie d'une mousse de chou-fleur savoureuse et bien salée et d'une sauce bien charpentée, montée à la fois au fond de veau et à la bisque. (Si vous êtes allergique aux crustacés, n'oubliez pas de le préciser!)

En fait, toute la cuisine de KGP est à l'image des créations carnivores et costaudes du Kitchen Galerie original. Oui, on sert maintenant du poisson à cette nouvelle adresse, mais du poisson accompagné de lardons, de prosciutto, de sauces crémeuses, tomatées... On est loin des pochés, du court-bouillon et du citron. Et pourquoi pas?

Les calmars frits sont impeccables, légers et croustillants et se mangent comme des frites avec une sauce mayonnaise. Et la salade de crevettes (asiatiques et d'élevage, malheureusement) n'a rien d'éthéré avec ses juliennes de jambon séché. La soupe? Presque un repas en soi, avec ses grains de maïs, ses morceaux de crabe, du bacon...

Au dessert, on apporte un plateau de pâtisseries préparées pour le restaurant. Rien n'est fait sur place. On offre deux formats de chaque chose, dont un petit morceau sur bâtonnet qui donne aux sucreries des airs de sucette. Gâteau au fromage lourdaud, fondant au chocolat ordinaire, fraises trempées dans le chocolat sans surprise...

Là, comme un peu partout au cours du repas, on a l'impression qu'emportée par le succès de ses autres projets, l'équipe prend des raccourcis et nous tient pour acquis. On s'attend à mieux.

Kitchen Galerie Poisson

399, Rue Notre-Dame Ouest, Montréal

514-439-6886

www.kitchengalerie.com

Prix: Les entrées sont autour de 10 $ et les plats principaux en bas de 30 $. Avec du vin au verre, et du dessert, on s'en sort facilement pour moins de 100 $ pour deux, tout compris.

Carte de vins: Importations privées intéressantes à prix raisonnables. Choix au verre.

Service: Courtois et efficace, mais peu loquace pour parler des produits et de la cuisine. Aussi, si vous êtes allergique à quelque chose, n'oubliez pas de poser des questions vous-mêmes.

Ambiance: On est dans le Vieux-Montréal, avec les amateurs de bonne cuisine qui travaillent dans

les boîtes de communications du coin et viennent manger après le boulot. Zéro chichi, zéro prétention. Décor urbain très simple qui pourrait être un peu plus peaufiné. Ou pas.

+ + + La simplicité du concept et cette idée de nous faire redécouvrir le poisson.

- - - L'impression que ce restaurant a ouvert trop vite, sans assez réfléchir sur la voie réellement moderne à emprunter, et qui devrait inclure notamment, une préoccupation environnementale sur notre consommation de poisson.

On y retourne? Pas tout de suite.