Il y a des quatrièmes places plus réjouissantes que d'autres. Celle d'Alex Harvey et Devon Kershaw avait des airs de fête, lundi.

Le duo de fondeurs canadiens a continué de réécrire l'histoire, arrachant le quatrième rang au Kazakhstan au sprint par équipe style libre.

«C'est le chiffre le plus bas qu'on a vu sur une feuille de résultats pour le Canada aux Jeux olympiques. Chaque jour, on bat des records», a souligné Harvey, quelques minutes après la fin de la course, disputée par une chaude journée printanière au creux de la Callahan Valley.

«Quatrième, c'est toujours un peu difficile parce que c'est la position la plus proche du podium, mais on est des outsiders ici, a-t-il ajouté. On n'est pas la Norvège, l'Allemagne ou la Suède. On est le Canada en ski de fond. On ne joue pas au hockey là!»

Le Canada a passé les deux tiers de la course prudemment installé à la queue du peloton de tête de sept pays. Kershaw, très en jambes pour cette finale, a ouvert la machine à son dernier relais, s'amenant dans le stade au deuxième rang, tout juste derrière l'Allemagne.

Quand il a touché l'épaule de Harvey, les fauves ont été lâchés. L'Allemand Teichmann, le Norvégien Northug et le Russe Petukhov se sont mis à attaquer dans la montée. Le jeune Harvey n'a pas trop dépareillé parmi ces vedettes.

«Il me manquait de la vitesse dans la dernière montée, a-t-il expliqué. L'endurance était là, je récupérais super bien entre les rondes, mais ces gars-là gagnent des Coupes du monde de sprint. Ce sont les plus vites au monde. Il me manquait un petit extra. Je n'ai jamais été plus vite que ces gars-là.»

Il s'en est pourtant fallu de peu pour qu'il s'accroche dans la dernière ascension. Mais le Kazakh Poltaranin, quatrième, a laissé un trou. Harvey a voulu se faufiler pour le boucher, mais s'est vite ravisé. En sortant des traces à l'ombre, il se produisait un effet de succion qui le ralentissait.

En arrivant dans le stade, le podium était joué, l'imparable Northug, leader de la Coupe du monde, s'imposant pour son tout premier titre olympique. L'argent est allé à l'Allemand Teichmann, le bronze au Russe Petukhov.

Six secondes plus tard, Harvey a lancé son ski pour devancer le Kazakh. Comme l'écart avec le troisième était marqué, un collègue a fait remarquer à Harvey qu'il s'agissait là d'une «vraie» quatrième place. «Six secondes sur une course de 20 minutes, c'est très peu, a-t-il cependant répliqué, non contenté. En ski alpin, c'est peut-être deux dixièmes...»

Jamais froid aux yeux, le jeune fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges. Il faut voir l'admiration que lui voue Kershaw. En arrivant devant les journalistes, l'athlète de 27 ans a mis la main sur l'épaule de son grand ami, l'air de dire : je vous présente Wayne Gretzky.

Kershaw a ensuite répété ce qu'il avait écrit dans son blogue la veille : Alex Harvey est le plus grand athlète qu'il ait côtoyé. «On oublie parfois qu'il a seulement 21 ans parce qu'il a fait tellement de bruit au niveau international, en particulier à ces Jeux olympiques.»

Un journaliste a ensuite demandé aux deux joyeux lurons ce qu'ils pensaient de Northug, qui venait d'offrir à la Norvège son premier titre olympique masculin en ski de fond depuis Salt Lake City, en 2002. Northug est le meilleur au monde, ont-ils répondu.

«Mais bientôt, Alex lui prendra le maillot doré de leader de la Coupe du monde, peut-être même l'an prochain», a prévenu Kershaw.

Réaction amusée du principal intéressé : «On verra comment va la progression. Il a peut-être parlé un peu trop vite !»

Harvey est monté sur son premier podium de Coupe du monde lors d'un relais sprint libre à Whistler, en décembre 2008. Avec George Grey, il avait pris le troisième rang.

«Il manquait l'Allemagne, la Norvège, a rappelé le Québécois à un journaliste local qui avait couvert l'événement. L'Italie et la Suède nous avaient battus. Aujourd'hui, on les bat. La moitié du monde n'était pas là. La quatrième place d'aujourd'hui est donc mieux que la troisième place de l'an dernier.»

Grey, le vétéran de l'équipe canadienne, a cette fois dû céder sa place à Kershaw. Ça ne l'a pas empêché de vivre des émotions fortes. «Je ne croyais jamais que Devon me ferait pleurer... Devon et Alex ont été des héros aujourd'hui», a-t-il écrit sur sa messagerie Twitter.

Demain, Ivan Babikov, Grey, Harvey et Kershaw, respectivement cinquième, huitième, neuvième et 16e de la poursuite, uniront leurs efforts pour le relais 4 X 10 km, un grand classique en ski de fond. Même si le ciel est immaculé depuis une semaine, les quatre gars sont clairement sur un nuage. Le potentiel de podium se précise.

«C'est vraiment la grosse course, a précisé Kershaw. Il y a huit ou 10 pays extrêmement solides. On skie de mieux en mieux, mais on a du pain sur la planche. On ne peut se reposer sur nos lauriers. Ce sera dur.»