Ça a commencé dans le bureau d'André Aubut, à la polyvalente Dalbé-Viau de Lachine, raconte Geneviève Jeanson. Elle avait 16 ans quand son entraîneur de cyclisme André Aubut, alors professeur d'éducation physique, l'a embrassée pour la première fois. Plus tard, ça s'est poursuivi à la résidence d'Aubut à Sainte-Anne-de-Bellevue, où il vivait avec sa femme. Puis dans son auto.

«Il me protégeait. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait et pas moi», raconte l'ex-cycliste dans L'affaire Jeanson : l'engrenage, un livre du journaliste Alain Gravel à paraître la semaine prochaine aux éditions Voix parallèles.

À la même époque, Jeanson, incitée par Aubut et un médecin peu scrupuleux et avec l'approbation tacite de son père, a commencé à s'injecter de l'EPO, la substance dopante qui allait la mener à de grandes victoires, mais aussi à la déchéance.

Marquée par le chantage, les menaces et la violence, la relation intime et sportive unissant Aubut et Jeanson s'est poursuivie sur une période de presque 10 ans. L'emprise d'Aubut «était telle qu'elle se sentait obligée de satisfaire ses moindres désirs, y compris sexuels», écrit l'auteur.

Sans contrainte physique proprement dite, elle s'est sentie forcée à des attouchements allant jusqu'à la fellation.

«Il m'est arrivé de lui dire que je ne voulais pas, relate Jeanson au sujet de ces relations malsaines. Après il me faisait souffrir. Il n'était pas fin avec moi. Il était méchant. Il faisait tout pour que mes entraînements de vélo ne se passent pas bien. Il me décourageait. Il me battait mentalement.»

À l'origine, Alain Gravel souhaitait écrire le récit de la démarche journalistique ayant mené aux aveux de dopage de Jeanson à l'émission Enquête de Radio-Canada, en septembre 2007. Des entretiens subséquents avec l'ex-cycliste, ainsi que des recherches et des entrevues visant à documenter le livre, ont permis au journaliste d'en découvrir davantage, en particulier au sujet des relations sexuelles malsaines que l'athlète aurait eues avec Aubut, qu'elle décrit comme un homme violent.

La violence n'était pas que psychologique. Lors d'un entraînement en 2004, Jeanson a essuyé un coup de poing en plein visage parce qu'Aubut était insatisfait de ses efforts, avait-elle raconté à Enquête. Elle avait ensuite été laissée en plan dans le désert. L'agression lui avait laissé un oeil au beurre noir. Alain Gravel a déniché des photos et obtenu des témoignages corroborant les dires de Jeanson.

Cette dernière en rajoute dans le livre. «C'était de se faire fesser  dessus, décrit-elle au sujet des agressions de son entraîneur. Il m'a déjà pognée par la peau des fesses et les cheveux pis il m'a sacrée dehors de la maison. Je me souviens d'avoir été dans une salle de bains en céramique en Italie, pis je pensais vivre un film d'horreur. Il m'a battue là. Je m'imaginais pleine de sang partout, ostie ! Battue à coups de pied, coups de poing, des claques, pognée par les cheveux, me crisser sur le mur, tout !»

Afin de maintenir son emprise, Jeanson soutient qu'Aubut l'a déjà menacée de la tuer et de se suicider ensuite si elle le quittait.

Aubut nie

Aubut réfute catégoriquement les allégations de son ancienne protégée, avec qui il a vécu sous le même toit en Arizona et avec qui il a été marié pour des raisons d'affaires d'avril à octobre 2006.

«Je n'ai rien à dire, a-t-il répété à Alain Gravel lors de leur dernière conversation téléphonique, en juillet 2008. Elle m'a assez fait de trouble comme ça. C'est fini. Je veux passer à autre chose. Je ne veux pas retourner en arrière. C'est mort et enterré. Elle peut dire ce qu'elle veut. D'ailleurs, elle dit n'importe quoi.»

Des témoignages de proches, d'un ancien collègue de travail et d'ex-cyclistes de l'équipe Rona confirment le tempérament colérique et explosif d'Aubut. Personne ne l'a cependant vu lever la main sur celle qui a marqué l'imaginaire collectif au Québec avec ses quatre victoires spectaculaires à l'épreuve de Coupe du monde disputée chaque printemps sur le mont Royal.

Dans le livre, le cercle restreint des proches du clan Aubut-Jeanson jure qu'ils ignoraient que la cycliste avait pris de l'érythropoïétine (EPO) de ses débuts jusqu'à son contrôle positif de l'été 2005. Tous sont tombés des nues, du relationniste Daniel Larouche, omniprésent durant l'enquête d'Alain Gravel, à l'avocat Jean-Pierre Bertrand en passant par Claude Gaumond, grand ami d'Aubut et l'une des rares personnes à être restées solidaires de Jeanson.

À part Aubut, seul Yves Jeanson, le père de Geneviève, a été mis au parfum de 1998 à 2003.

Aux dernières nouvelles, Jeanson, 27 ans, vit toujours aux États-Unis, partageant son temps entre son petit bungalow de Phoenix et San Diego, où vivrait son nouveau chum, un homme à la fin de la quarantaine. Les deux planifiaient d'ouvrir un restaurant et un hôtel-boutique en Thaïlande, mais le projet est tombé à l'eau. Jeanson aurait également repoussé l'idée de venir s'établir de nouveau à Montréal.

Alain Gravel croit que Jeanson poursuit présentement une démarche thérapeutique. «Elle est au courant de la publication du livre. Elle attend de le voir avant de réagir», dit l'auteur, qui a parfois eu l'impression de servir d'outil thérapeutique. «Elle a répondu à mes questions, mais elle n'a pas demandé de compensation financière ni coécrit le livre», précise-t-il.

En début d'année, Jeanson a étroitement collaboré à un scénario de film sur sa vie qui sera réalisé par Alexis Durant-Brault (Ma fille, mon ange). Un projet de biographie avec la romancière Arlette Cousture, la femme de son ex-relationniste Daniel Larouche, aurait été abandonné.

Le livre d'Alain Gravel, L'affaire Jeanson: l'engrenage, sera en vente à compter du jeudi 6 novembre.