Si le monde du cyclisme avait été sondé, vendredi dernier, probablement que la majorité aurait répondu qu'Alberto Contador s'en tirerait et que Lance Armstrong aurait à rendre des comptes devant la justice de son pays. Le contraire s'est produit.

Vendredi soir, sans avertissement et sans explications, un procureur américain a annoncé la fin de l'enquête de près de deux ans sur les agissements criminels présumés d'Armstrong. Le cycliste américain était soupçonné de dopage, de trafic, d'incitation au dopage, de fraude, de blanchiment d'argent et de complot envers l'État fédéral.

L'enquête a décollé après les accusations de Floyd Landis, ex-coéquipier d'Armstrong déchu de son titre du Tour de France de 2006 pour dopage. Dirigée par le réputé Jeff Novitzky, l'agent à l'origine du scandale de stéroïdes BALCO, elle avait fait l'objet de nombreuses fuites dans les médias.

La liste des personnes interrogées était très longue, aux États-Unis comme en Europe. Tyler Hamilton, un autre ex-coéquipier condamné pour dopage, en faisait partie. Dans une entrevue à la télévision, Hamilton a dit avoir vu Armstrong s'injecter de l'EPO. Même George Hincapie, grand ami du septuple vainqueur du Tour de France, serait passé à table, selon CBS, ce qu'il n'a jamais nié.

L'étau semblait se resserrer sur Armstrong, qui s'était d'ailleurs entouré d'avocats réputés et d'un relationniste qui avait déjà travaillé pour Bill Clinton.

De toute évidence, faire la preuve de la culpabilité d'Armstrong «hors de tout doute raisonnable», comme l'exige un procès criminel, n'était pas à la portée des enquêteurs fédéraux. Leurs deux témoins connus - Landis et Hamilton - ont menti pendant des années avant de s'avouer coupables. Le peu de succès d'enquêtes semblables sur les joueurs de baseball Barry Bonds et Roger Clemens a peut-être aussi refroidi leurs ardeurs. En cette période de difficultés économiques, le bien-fondé de l'investissement de sommes considérables dans ces enquêtes était aussi remis en question par le clan Armstrong, un argument qui trouvait écho dans le public.

«Ils se sont dit: "on va probablement perdre et il ne faut pas perdre du temps et de l'argent avec ça"», a d'ailleurs estimé Dick Pound, ex-président de l'Agence mondiale antidopage (AMA), néanmoins surpris par l'abandon de l'enquête.

M. Pound, qui a déjà eu quelques prises de bec avec Armstrong, espère que les enquêteurs répondront à la demande de l'agence antidopage américaine (USADA) de lui remettre les preuves amassées. «Ça va nous aider beaucoup», a dit l'avocat montréalais.

Viande contaminée

Le cas d'Alberto Contador est complètement différent. Personne ne contestait la présence de clenbutérol dans son urine après une étape du Tour de France de 2010. Le cycliste espagnol prétendait que l'ingestion de viande contaminée provenant de son pays était à l'origine de ce test positif. La fédération espagnole s'était rangée aux arguments du triple vainqueur du Tour et l'avait blanchi il y a un an. Cette décision a été contestée par l'AMA et l'Union cycliste internationale devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Au cours des mois suivants, la défense de Contador a semblé prendre du coffre quand cinq joueurs de soccer mexicains et un cycliste danois ont obtenu gain de cause avec une défense semblable. «Une fois que le Tribunal arbitral du sport aura absous le champion espagnol - c'est presque devenu une évidence - d'ici à la fin du mois, Contador aura la voie libre vers une quatrième victoire dans le Tour», écrivait même L'Équipe dans sa livraison du 17 janvier.

«La viande, c'est sûr que ça se peut, mais le contexte restait à définir», a rappelé Christiane Ayotte, directrice du laboratoire antidopage de l'INRS, à Laval.

Dans les histoires précédentes, la viande provenait du Mexique, pays aux prises avec un problème de santé publique au sujet de la viande contaminée au clenbutérol. Ce qui n'est pas le cas de l'Espagne, a tranché le TAS dans sa décision défavorable à Contador rendue hier matin, après plus d'un an de procédures.

En moins de 72 heures, les destins d'Armstrong et Contador, ennemis jurés et gagnants de 10 Tours de France sur 12 de 1999 à 2010, ont pris une orientation radicalement différente.