Ce fut une année faste pour le sport québécois. Nombreux ont été les athlètes d'ici qui ont dominé leur sport sur la scène internationale en 2011. Aussi le skieur Erik Guay, les bosseurs Jennifer Heil et Alexandre Bilodeau, le boxeur Lucian Bute et le combattant Georges St-Pierre se sont-ils livré une lutte serrée pour le titre de l'athlète de l'année de La Presse et lapresse.ca. Au final, ils ont été coiffés par Alex Harvey, qui a accompli ce qu'aucun fondeur canadien masculin n'avait réussi jusque-là, monter sur le podium aux Championnats du monde. Sur la plus haute marche, à Oslo, devant les Norvégiens et leurs fervents partisans. Retour sur une année mémorable.

«Où étiez-vous quand Bra a cassé son bâton?» Tous les Norvégiens d'un certain âge connaissent la réponse à cette question. Elle fait référence au champion-fondeur Oddvar Bra, qui avait brisé son bâton avant de remporter le relais de façon dramatique aux Mondiaux d'Oslo en 1982.

Le Québécois Nicolas Lemyre est le directeur du Département de coaching et de psychologie à l'Université des sciences du sport de Norvège. Avant le début des Championnats du monde de 2011, les premiers dans la capitale norvégienne depuis 1982, il a été invité par l'ambassade canadienne à prononcer un discours devant les membres de l'équipe nationale de ski de fond.

À la fin de sa conférence, Lemyre, lui-même un ancien fondeur, a repris à son compte la fameuse question sur Bra. Sur un écran, il a projeté une photo du skieur et de son bâton brisé. Puis, sous la phrase «L'histoire s'écrira», il a demandé: «Où étiez-vous quand le Canada a gagné à Holmenkollen?»

Alex Harvey et Devon Kershaw étaient à l'ambassade ce soir-là. Une semaine plus tard, le duo causait une commotion au stade d'Holmenkollen en remportant le relais sprint devant les Norvégiens, largement favoris.

Après avoir accepté le dernier relais de Kershaw, Harvey a fait exactement ce qu'il avait prévu, abordant le dernier virage en deuxième place, la position idéale avant la ligne droite finale. Portant sur ses épaules les espoirs de son pays, le Norvégien Ola Vigen Hattestad, spécialiste de l'exercice, a poussé comme un désespéré. Le jeune homme de Saint-Ferréol-les-Neiges qui le débordait était tout simplement plus fort.

Ce sont ces cinq secondes qui reviennent à l'esprit d'Alex Harvey quand il se replonge dans Oslo-2011. «C'est vraiment à ce moment-là que je savais qu'on venait de devenir champions du monde, raconte-t-il. J'ai encore des frissons à y penser!»

Dans son blogue, le champion du monde de kayak Adam Van Koeverden a qualifié la poussée d'Harvey comme «possiblement la chose la plus radicale («raddest») qu'un Canadien ait jamais faite sur une paire de skis».

Quelques heures plus tard, devant 50 000 spectateurs au centre-ville d'Oslo, Harvey et Kershaw chantaient l'Ô Canada avec une médaille d'or au cou. En sortant de scène, Kershaw, euphorique, avait rappelé avec étonnement la prescience de Nicolas Lemyre.

Dix mois plus tard, Harvey sourit quand on lui rappelle cette histoire. À l'époque, cela semblait un peu trop beau pour être vrai. «Il avait dit ça pour nous motiver, se souvient le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges. On y croyait, mais on espérait plus un podium. Honnêtement, on n'avait pas vraiment pensé à la victoire.»

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Comme son prédécesseur, la patineuse Joannie Rochette, Harvey a été surpris d'apprendre que La Presse lui accordait le titre d'athlète de l'année. Quand ses amis et lui ont pris connaissance du scrutin sur lapresse.ca, il a vu des noms prestigieux comme Erik Guay, champion du monde de descente, et Georges St-Pierre, champion UFC en arts martiaux mixtes.

«On pensait tous que c'est Georges St-Pierre qui allait gagner, a-t-il souligné. Les autres athlètes contre qui j'étais en "compétition", ce ne sont quand même pas des deux de pique! Ils ont tous accompli de très grandes choses. Je suis vraiment touché par ça.»

La médaille d'or au relais sprint fut le point d'orgue d'une année remarquable. Un mois plus tôt, Harvey et son entraîneur Louis Bouchard ont fait un raid éclair en Estonie pour disputer une seule course aux Championnats du monde U23, les derniers auxquels l'athlète de 22 ans était admissible. Il a gagné la poursuite de 30 km, répondant à chaque attaque de son rival russe Evgeniy Belov avant de s'en défaire à 100 mètres de la ligne.

Une semaine avant le début des Championnats du monde seniors, Harvey a obtenu le meilleur résultat de sa carrière en Coupe du monde, terminant deuxième au sprint de Drammen, en Norvège.

En quatre courses à Oslo, Harvey s'est chaque fois surpassé. Arrêté en demi-finale du sprint individuel après un accrochage (septième), il a été le seul coureur à s'échapper pendant la poursuite de 30 km.

Pendant presque le tiers de la course, il a cavalé seul, persuadé de se diriger vers la victoire jusqu'à ce que des crampes ne le stoppent à trois kilomètres du but. Cette 12e place a été accueillie comme une véritable gifle au visage. «J'avais peut-être les meilleurs skis du groupe, probablement la meilleure forme aussi. Dans la salle de fartage après la course, je ne voulais pas parler à trop de monde.»

Au téléphone, il a reçu les encouragements de sa mère Mireille Belzile et de son père Pierre, qui l'ont «supporté dans les bons moments comme dans les moments plus difficiles».

Trois jours plus tard, Harvey s'est imposé au relais sprint classique avant de conclure les Mondiaux avec une brillante cinquième place à l'éreintant marathon de 50 km, ce qu'il avait alors considéré comme «la course de (sa) vie».

«Être dans ma meilleure forme au bon moment, c'est une force depuis que je suis tout jeune», fait remarquer Harvey.

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Au-delà des résultats, le fondeur québécois a marqué ces Mondiaux. Sa technique et son charisme ont été remarqués par le public et les médias locaux. Il a aussi fait jaser en embrassant son index en franchissant la ligne en vainqueur. Certains y ont vu une fronde envers le public et les skieurs norvégiens. Harvey a dû expliquer qu'il voulait plutôt souligner le premier podium canadien masculin en ski de fond dans un grand championnat.

Un caricaturiste s'est inspiré du geste et le skieur Petter Northug, grande vedette de l'équipe norvégienne, l'a repris à son compte pour narguer un rival suédois. «Northug trouvait juste ça drôle, s'est rappelé Harvey. Lui, il gagne presque à chaque course et il ne savait plus quoi faire à la ligne d'arrivée. Il était content d'avoir quelque chose de nouveau!» L'imitation est la plus sincère des flatteries, dit un proverbe anglais.

Selon Kershaw, on n'a encore rien vu. «Alex est vraiment un excellent athlète, avec beaucoup de talent. Mais à 23 ans, dans un sport comme le ski de fond, il lui reste encore beaucoup de belles années, rappelle l'Ontarien de 29 ans. J'ai vraiment hâte de voir ce qu'il pourra faire... et j'espère pouvoir le partager avec lui pour les quatre ou cinq prochaines années.»