Pendant un instant, lorsque ma cousine me racontait sa discussion avec son ancienne patronne, la directrice d'une école primaire privée du Plateau Mont-Royal, j'ai cru que nous avions fait un retour dans le Québec des années d'avant la Deuxième Guerre mondiale. Les années où non seulement les bourgeois de la haute-ville de Québec regardaient les ouvriers du quartier Saint-Roch avec dédain, mais considéraient les «habitants» de la campagne de Charlevoix comme une sous-race.

Ma cousine, originaire du Lac-Saint-Jean, tout comme moi, demeure dans la région de Montréal. Nous y résidons parce que la vie professionnelle nous y a menées certes, mais aussi un peu parce que cette belle ville, riche de sa culture et de ses habitants, issus de toutes origines, a beaucoup à nous offrir.

Ma cousine, une enseignante au primaire, formée à l'Université du Québec à Chicoutimi, est une personne intègre, généreuse, patiente. Une femme qui adore les enfants et qui a choisi l'enseignement par vocation. Comme la plupart des enseignants en début de carrière, elle a butiné d'un contrat à l'autre. L'an passé, elle a été retenue pour enseigner en troisième année dans une école primaire privée du Plateau Mont-Royal. Elle y a passé une entrevue et la directrice lui a offert un contrat. Tout au long de l'année, la directrice a souligné ses compétences. Elle lui a même dit qu'elle avait fait des miracles avec sa classe! Selon les dires de la directrice, un contrat permanent l'attendait dès la prochaine année scolaire.

Ce n'est pas comme cela que les choses se sont produites. Sans donner davantage d'explications, la directrice a annoncé à ma cousine qu'elle n'aurait pas de contrat. Étonnée de ce changement de cap inattendu, ma cousine a cherché à comprendre et a talonné la directrice jusqu'à ce que celle-ci lui mentionne que son accent du Lac-Saint-Jean ne lui plaisait pas, ainsi qu'à certains parents. «Vous ne venez pas d'ici et vous ne parlez pas comme les gens d'ici. Vous devriez favoriser l'enseignement rural.» Et lorsque ma cousine lui a demandé : «Mais quelle est donc la différence madame la directrice entre l'enseignement urbain et l'enseignement rural?», elle n'a pu trouver d'explications.

Madame la directrice, il n'y a plus d'écoles de rang dans nos régions depuis belle lurette. Le ministère de l'Éducation a un programme scolaire qui s'applique même au Lac-Saint-Jean. Nos enfants sont capables de faire la distinction entre le français oral et le français écrit ! Même à 8 ans, ils comprennent qu'on n'écrit pas «à cause que le ciel est bleu?» dans une composition écrite.

Je savais qu'il existait une bonne proportion de petits prétentieux sur le Plateau Mont-Royal. Ces gens qui se targuent d'avoir l'esprit ouvert, mais qui ne sortent jamais de leur petit cocon urbain, de leur petite suffisance du Plateau pour aller voir ce qui se passe ailleurs. Toutefois, jamais je n'aurais cru que cela pouvait se traduire par un aussi grand mépris des régions et des accents qui en sont issus.

Comment est-ce possible que ma cousine, qui par ailleurs avait son accent du Lac-Saint-Jean lors de son entrevue l'an dernier, ne puisse s'exprimer oralement avec les couleurs qui lui sont propres alors qu'elle doit enseigner à des enfants aux divers accents? Madame la directrice, auriez-vous eu le courage de tenir les mêmes propos à un enseignant d'origine haïtienne ou libanaise?

Est-ce là que toute cette réflexion sociétale sur les accommodements raisonnables nous a menés? À des classes d'élèves de toutes origines, aux accents multiples, aux coutumes diverses, ne pouvant recevoir l'enseignement par une femme originaire du Lac-Saint-Jean, parce qu'elle ne parle pas comme «les gens d'ici»?