Notre histoire trouve son moment fondateur dans la Conquête et l'échec des Rébellions. La Révolution tranquille représente, elle, le moment de la refondation de la collectivité sur l'horizon de la liberté et de l'avènement à soi-même. Émerge, alors, un discours entièrement tourné vers l'avenir plein de promesses d'émancipation.

Notre histoire trouve son moment fondateur dans la Conquête et l'échec des Rébellions. La Révolution tranquille représente, elle, le moment de la refondation de la collectivité sur l'horizon de la liberté et de l'avènement à soi-même. Émerge, alors, un discours entièrement tourné vers l'avenir plein de promesses d'émancipation.

Jusque-là, la représentation du passé canadien-français avait été tissée de défaites en même temps que de la fierté d'avoir survécu aux avanies de l'histoire. L'attachement à nos traditions et à notre religion aura constitué pour nous un genre de bouclier nous protégeant des forces qui travaillaient à notre disparition. Mais c'est justement ce jugement satisfait que va ébranler la Révolution tranquille. Certes nous aurons survécu, mais à quel prix?

Les révolutionnaires tranquilles se demanderont s'il n'y avait pas dans cette stratégie défensive, dans cette force d'inertie, une part de médiocrité, d'attardement traditionnaliste ou d'incompétence collective face aux défis que dressait la modernité et que d'autres relevaient apparemment mieux que nous. Nous serions-nous rendus coupables de complicité avec ceux qui nous opprimaient à force de ne pas leur répliquer autrement que dans ce tassement sur nous-mêmes, que dans cette obsession consistant à nous maintenir dans ce que la tradition canadienne-française avait fait de nous? Les années 60 sonnent peut-être l'heure de la libération, mais elles supposent aussi de reconsidérer un passé dont on ne verra plus que pesanteurs, retards et empêchements.

La Révolution tranquille est alors le théâtre d'un étrange procès : celui de la culture canadienne-française dont on découvre au cours des années 50 et 60 qu'elle aurait été à la source des déboires de la collectivité. On n'en finira plus de s'abattre sur la religion, le clergé, la tradition et le régime duplessiste. C'est sans relâche que l'on refera l'histoire de nos misères et de nos défaites. Le Québécois s'érigera alors contre le Canadien-français dans lequel il ne se reconnaîtra plus. Ce dernier n'a-t-il pas été la victime consentante d'une Église omnipotente et fermée à la modernité? N'a-t-il pas accepté servilement le rôle de porteur d'eau qu'on lui avait dévolu?

Culture de pauvres et de dominés, celle des Canadiens-français n'aurait rien apporté au monde. Le mot de Durham selon lequel nous avions formé un peuple «sans histoire et sans littérature», qui aura si longtemps résonné comme une insulte, est paradoxalement repris par ces Québécois nouveaux qui entendent mettre le Québec en marche sur le chemin de la modernité. L'exposition universelle de 1967 représentera, comme en une apothéose, la conquête accélérée d'une modernité québécoise trop longtemps différée.

Dans l'enthousiasme, on tournera le dos au monde canadien-français et à sa culture qui sembleront tout à coup tout droit sortis du Moyen-Âge. Surgiront questions et débats portant sur la qualité de la langue, de notre littérature et sur nos travers collectifs apparemment responsables de notre retard économique et de notre propension au conservatisme. La revue Cité Libre et l'un des ses principaux animateurs, Pierre Elliot-Trudeau, auront fourni le matériel nécessaire à cette entreprise d'autodénigrement.

Entre ce rejet du passé dont on égraine les manquements et l'ivresse des sommets qu'annonce la Révolution tranquille, n'y a-t-il pas en effet un étrange divorce d'avec soi-même? La culture des années 60 s'érige-t-elle paradoxalement sur le vide laissé par la critique à laquelle on avait soumis la culture canadienne-française? Si tel devait être le cas, il ne faudrait pas s'étonner que les Québécois d'aujourd'hui aient peine à se représenter de manière cohérente le parcours historique de leur collectivité.

Cette sixième de huit conférences sera prononcée ce soir à 19 h 30 à l'Auditorium de la Grande Bibliothèque dans le cadre de la série La Révolution tranquille, 50 ans d'héritages, présentée jusqu'en décembre 2010 par l'UQAM et par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.