Au Mali, la mort de Mouammar Kadhafi, la semaine dernière, n'est pas source de réjouissances. Pour ce pays au bas de tous les indicateurs de développement, la chute de celui qui se disait le «roi des rois traditionnels d'Afrique» signifie incertitude économique et désordre sécuritaire.

Sidi Ndiaye et ses amis parlent avec passion. «Ils ont tué notre ami Kadhafi pour son pétrole. C'était un grand homme qui a beaucoup donné aux Africains,» estime le quadragénaire de la capitale Bamako.

Ici, on aime Kadhafi. Son visage est partout: sur les motos, dans les taxis, sur les murs. Même le nouveau quartier administratif, construit avec des fonds libyens, devait être baptisé en l'honneur de l'ex-leader libyen. On a rayé son nom du complexe peu avant l'inauguration, en septembre dernier.

Pertes économiques

Cette affection pour le colonel déchu n'est pas gratuite. La Libye a investi dans les infrastructures et l'agriculture malienne des sommes difficilement quantifiables, mais qui frôlent le milliard. Au centre-ville, trois énormes hôtels de luxe portent fièrement la bannière Libya Hotels. Nul ne sait ce qu'il adviendra de ces investissements.

La chute de Kadhafi a déjà un coût pour le Mali. L'interruption des importations de carburant libyen a entraîné une hausse du prix à la pompe. Et le retour des travailleurs émigrés prive plusieurs familles d'une aide vitale.

Pendant deux décennies, la croissance libyenne a largement dépendu de la main-d'oeuvre subsaharienne bon marché. La guerre a mis fin à cet échange. L'Association des Maliens expulsés estime que 12 000 Maliens ont été rapatriés par avion au Mali. En réalité, plusieurs milliers d'autres sont revenus par leurs propres moyens.

Ali Abdoulaye Yattara a fui la Libye après 29 ans. «Ici, au Mali, il n'y a pas de travail. En Libye, nous pouvions bien vivre.» Dans la cour de la petite maison qu'il a achetée avec ses économies, il boit le thé avec un collègue d'exil, Taky Mady Keita.

Plusieurs fois emprisonnés, torturés et libérés sans que des accusations ne soient portées; la vie des deux rapatriés était devenue un enfer à Tripoli pendant la guerre. Ils ont fui Tripoli lorsque circulaient des rumeurs clamant que les Subsahariens étaient les mercenaires de Kadhafi et que, une fois le Guide chassé, ils seraient tous massacrés.

Désordre sécuritaire

La fin de l'ère Kadhafi n'est pas qu'une question d'argent pour les Maliens. Les États limitrophes, les représentations étrangères et les ONG s'inquiètent pour la stabilité de la région.

La Libye n'a pas de frontières avec le Mali. Pourtant, les deux pays partagent un désert que nul ne contrôle: le Sahara. La chute de Kadhafi a entraîné la fuite de nombreux combattants lourdement armés. Les pays de la région ont multiplié les opérations au cours des derniers mois pour contrer ces armes qui pourraient se retrouver entre les mains d'Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Mais c'est surtout le retour des ex-rebelles touareg qui inquiète la population. En 1980, Kadhafi les a mobilisés pour sécuriser le Sud libyen et contrer les trafiquants, notamment de drogue. Ces Touareg ont peu à peu abandonné le combat pour rejoindre l'armée ou les exploitations pétrolifères libyennes. Lorsque le régime du guide libyen a commencé à trembler, ils ont participé à sa défense et auraient recruté des mercenaires.

Maintenant, des milliers de combattants expérimentés reviennent au Mali et au Niger. S'ils ont perdu leur base et leur financement, leurs revendications autonomistes restent intactes. «Le danger d'une nouvelle révolte touareg est imminent», croit un conseiller militaire malien, qui préfère garder l'anonymat.

Pour le moment, le gouvernement malien ne sait pas sur quel pied danser. Il ne reconnaît pas le Conseil national de transition au pouvoir depuis la chute de Kadhafi, mais laisse son drapeau flotter sur l'ambassade de Libye. La mort de l'ex-dictateur simplifie la donne. Mais les Maliens s'inquiètent tout de même d'avoir perdu un peu plus qu'un ami.