Le chef de l'État égyptien Hosni Moubarak, sous la pression d'une contestation populaire sans précédent, a délégué jeudi ses prérogatives au vice-président tout en s'accrochant au pouvoir, déclenchant la fureur des manifestants.

«J'ai décidé de déléguer au vice-président les prérogatives du président de la République conformément à ce que prévoit la Constitution», a déclaré M. Moubarak, la voix parfois tremblante, visiblement affecté.

Après le discours, l'ambassadeur d'Égypte à Washington, Sameh Choukri, a affirmé sur CNN que le vice-président Omar Souleimane était désormais le «président de facto» du pays.

Le discours télévisé de M. Moubarak, très attendu, a provoqué la déception et la fureur parmi les quelque 200 000 manifestants réclamant depuis le 25 janvier son départ immédiat, place Tahrir, épicentre du mouvement au Caire.

«Je suis conscient du danger que représente cette croisée des chemins (...) et cela nous impose de faire passer d'abord les intérêts supérieurs de la nation», a-t-il ajouté, sans toutefois annoncer sa démission comme l'exigent depuis plus de deux semaines des centaines de milliers de manifestants à travers tout le pays.

«La transition du pouvoir va d'aujourd'hui à septembre», a-t-il ajouté, en référence à la date de l'élection présidentielle à laquelle il a promis de ne pas se présenter après 29 ans passé au pouvoir.

Le vice-président Omar Souleimane, récemment nommé à ce poste non pourvu depuis 1981, a appelé un peu plus tard les manifestants à rentrer chez eux, en s'engageant à «préserver la sécurité» et la «révolution des jeunes».

De nouveaux appels à des manifestations massives ont été lancés pour vendredi.

La colère des manifestants

Place Tahrir, des centaines de manifestants ont brandi leurs chaussures en direction de l'écran sur lequel était retransmis le discours du président, geste insultant et méprisant dans le monde arabe, en chantant «À bas Moubarak! Dégage, dégage!».

D'autres ont appelé à une grève générale immédiate en réclamant que l'armée, qui s'est déployée en force autour des manifestants prenne position: «Armée égyptienne, il faut faire un choix, le régime ou le peuple!».

L'opposant égyptien le plus en vue Mohammed ElBaradei a averti, après l'intervention du président, sur le site de micro-blogues Twitter que l'Égypte allait «exploser» et affirmé que l'armée devait intervenir pour «sauver le pays».

Si le rassemblement avait commencé dans le calme, les slogans sont devenus de plus en plus violents après le discours de M. Moubarak et du vice-président Omar Souleimane, nouveau «président de facto».

«Jusqu'au palais (présidentiel), nous nous dirigeons, des martyrs par millions», criaient-ils.



M. Moubarak a en outre annoncé l'amendement de cinq articles controversés de la Constitution et l'annulation d'un sixième article.

Ces articles imposent notamment des conditions très restrictives de candidature à l'élection présidentielle, ou permettent de se représenter à la présidence sans limitation du nombre de mandats.

D'autres articles limitent les possibilités de recours après des élections législatives, ou permettent au président d'ordonner que des civils accusés de terrorisme soient traduits devant un tribunal militaire.

L'article 189 stipule que seuls le président de la République et le président du Parlement peuvent proposer des amendements constitutionnels.

M. Moubarak a également répliqué aux appels répétés de plusieurs pays, notamment les États-Unis, à une transition pacifique du pouvoir en Égypte.

«Je ne me suis jamais plié aux diktats étrangers, j'ai toujours préservé la paix et oeuvré pour l'Égypte et sa stabilité». «Je n'ai jamais recherché le pouvoir», a-t-il répété, en déclarant vouloir être «enterré en Égypte».

Un discours qui déçoit la communauté internationale

À l'étranger, des dirigeants ont fait part de leur déception ou craintes de voir émerger des extrémistes.

Les États-Unis souhaitent empêcher les «extrémistes» de se positionner en Égypte durant la période de transition, a indiqué un responsable du département d'État.

«Le président Moubarak n'a pas encore ouvert la voie pour des réformes plus rapides et plus profondes», a déploré la chef de la diplomatie de l'Union Européenne Catherine Ashton.

Le ministère allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s'est montré déçu par le discours qui selon lui «n'était pas le pas espéré vers l'avant», le président français Nicolas Sarkozy souhaitant que l'Égypte trouve le chemin de la démocratie et «pas de la dictature religieuse comme en Iran».

Le départ de M. Moubarak a fait l'objet d'intenses spéculations pendant les heures précédant le discours, alimentées par l'annonce de l'armée qu'elle soutient les «demandes légitimes du peuple» et que le conseil suprême des forces armées restait en session permanente, ce qui avait laissé penser qu'elle pourrait prendre le pouvoir.

La place Tahrir piaffait d'impatience avant l'allocution, espérant que le président allait annoncer son départ dans la soirée.

Le mouvement de protestation s'est étendu jeudi à divers secteurs sociaux.

Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme. Des heurts se sont produits entre policiers et manifestants les premiers jours, puis entre pro et anti-Moubarak le 2 février.

Les violences ont fait environ 300 morts selon un bilan de l'ONU et Human Rights Watch depuis le début du mouvement.