On pourrait appeler ça déterrer une vieille histoire. Près d'un quart de siècle après sa publication, les Versets sataniques de Salman Rushdie sont à nouveau au coeur d'une controverse. Cette fois, ce n'est pas dans le pays de l'ayatollah Khomeini que l'auteur est pris à partie, mais dans son pays natal, l'Inde. Quatre mots pour comprendre.

MENACES

Salman Rushdie a l'habitude des menaces. En 1989, un an après la parution des Versets sataniques, l'ayatollah Khomeini a lancé une fatwa contre lui. L'écrivain, qui vit en Grande-Bretagne, a dû vivre caché pendant 10 ans. La semaine dernière, la police indienne a appelé M. Rushdie, lui expliquant qu'un mafieux musulman de Bombay avait embauché un tueur à gages pour l'éliminer au cours de sa participation à un festival. M. Rushdie a décidé de ne pas s'y rendre, mais il devait faire une intervention vidéo. Cette dernière fut aussi annulée après que la police a mis en garde les propriétaires de l'hôtel qui accueillait l'événement culturel de la présence d'émeutiers potentiels.

FESTIVAL

C'est à l'invitation du Festival de littérature de Jaipur, le plus grand d'Asie, que Salman Rushdie devait visiter l'Inde cette semaine. M. Rushdie a participé en 2007 à l'important événement, qui recevait aussi cette année Oprah Winfrey. Il y a deux semaines, des groupes musulmans ont lancé une campagne contre Salman Rushdie, affirmant que les Versets sataniques «insultent le prophète Mahomet et les musulmans». Cette opinion ne fait cependant pas l'unanimité dans l'immense minorité musulmane indienne (plus de 150 millions de personnes). Un des plus éminents théologiens musulmans de l'Inde, Maulana Wahiddudin Khan, a qualifié les menaces contre Rushdie de «non islamiques et d'étrangères à la constitution indienne laïque».

INDEX

En Inde, les Versets sataniques sont à l'index depuis plus de 20 ans. Le livre est aussi interdit de vente en Iran, en Égypte, au Pakistan, en Malaisie, au Libéria et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En Inde, la controverse des derniers jours a incité un groupe de citoyens à lancer une pétition pour demander au gouvernement de lever l'interdiction contre le livre, la jugeant ridicule plus de deux décennies après la publication du roman. Ridicule ou non, des auteurs qui en ont lu des passages lors du festival de Jaipur en guise de protestation contre l'absence de Rushdie pourraient faire l'objet de poursuites judiciaires.

ÉLECTIONS

La nouvelle controverse autour de Rushdie met dans l'embarras le parti du Congrès, dirigé par Sonia Gandhi. Le parti, qui est dans la coalition au pouvoir, est accusé de ne pas défendre la liberté d'expression. M. Rushdie croit pour sa part qu'il a été sacrifié pour des raisons politiques à l'approche des élections dans l'Uttar Pradesh, un État de 200 millions d'âmes qui compte à lui seul une population de 40 millions de musulmans que le parti du Congrès a peur de se mettre à dos.