Quelques plumes et un étui autour de son pénis suffisent à habiller Suroba, un Papou bien décidé à résister si l'Etat indonésien décidait d'appliquer une récente loi bannissant les tenues jugées «obscènes».

Suroba, qui pense être âgé d'une soixantaine d'années, se rappelle la dernière fois que Jakarta a lancé une campagne pour éliminer l'étui pénien, le koteka, dans les années 1970. Ce fut un échec retentissant.

«Nous portions alors le koteka et nous le portons toujours aujourd'hui», fait-il remarquer fièrement.

Comme lui, nombreux sont les Papous qui vivent encore nus dans la vallée de Baliem, une région du centre de la Papouasie indonésienne, entourée de hautes montagnes et sans contact avec le monde extérieur jusqu'à la seconde guerre mondiale. Les hommes ne portent qu'un long étui en bois, parfois décoré, qui sert surtout à protéger leur sexe.

Suroba craint que cette tenue ne soit aujourd'hui de nouveau menacée par la loi «anti-pornographie» récemment adoptée par le parlement à Jakarta, à 3.500 km du coeur de la Papouasie. Ce texte, controversé et soutenu par les musulmans conservateurs, criminalise les oeuvres et les «mouvements» considérés comme obscènes et pouvant violer la moralité publique.

Ses promoteurs assurent que la loi contient des dispositions protégeant les diverses traditions de l'archipel, mais celles-ci sont trop faibles, estiment les Balinais et les Papous, à la tête de la contestation.

«Cette loi est contraire aux valeurs culturelles des peuples indigènes», dénonce Lemok Mabel, membre du conseil coutumier de la vallée de Baliem. «Le risque de conflit existe si la police débarque et commence à arrêter des gens pour les forcer à ne plus porter le koteka», prévient l'un de ses collègues, Dominikus Sorabut.

La question est d'autant plus sensible que la Papouasie n'échappe pas aux assauts de la modernité et de la mondialisation, qui perturbent les relations entre générations et fragilisent les traditions. La plupart des enfants et des jeunes adultes ont ainsi adopté tee-shirt et pantalon comme tenue quotidienne.

Les hautes terres de Papouasie restent toutefois une place forte du sentiment anti-indonésien, où est contestée la souveraineté de Jakarta gagnée en 1967. La tension y monte parfois entre les indigènes et les milliers de soldats stationnés dans la province.

Pour le moment, la police reste prudente quant à l'application de la loi anti-pornographie. Abdul Azis, son chef dans la région, estime probable qu'elle ne sera pas appliquée avec sévérité. «Les habitants vivent encore de façon plutôt primitive: être nu n'a pas pour eux un caractère pornographique», explique-t-il.

La Papouasie occidentale ne sera pas la première région concernée par la loi, prévoit aussi Eva Sundari, députée du Parti démocratique de lutte, qui a mené l'opposition au projet de loi à Jakarta. Car ce territoire excentré compte davantage de chrétiens et d'animistes que de musulmans, qui représentent près de 90% de la population indonésienne.

«Le véritable objectif de la loi est d'être utilisée par les groupes qui défendent l'application de la charia», la loi coranique, dans les régions les plus musulmanes comme les îles de Java et de Sumatra, affirme Mme Sundari.