L'enthousiasme du ministre de l'Environnement pour le gaz de schiste s'est soudainement évaporé, vendredi.

Après avoir tenté de rassurer les Québécois sur cette filière, il se montre désormais inquiet. «Je suis moi-même extrêmement préoccupé par ce qui se passe. Je sens que l'industrie n'a pas le contrôle de la situation», a lancé le ministre Pierre Arcand, vendredi matin, au caucus du PLQ à Lac-Beauport.

Depuis plusieurs mois, les environnementalistes lui reprochent de se comporter en promoteur de l'industrie. Vendredi, il a durci le ton. Il avoue qu'il a «toujours été en faveur de cette filière» mais, selon lui, l'industrie a «perdu le contrôle». Si bien qu'il ne ferme plus la porte à un moratoire. «Cette industrie-là va se faire correctement ou il n'y en aura tout simplement pas.»

Le premier ministre Charest abonde dans le même sens. «Il y aura de l'exploration et de l'exploitation du gaz de schiste à condition que ça puisse être fait correctement. Sinon, il n'y en aura pas», a-t-il assuré.

Pourtant, à l'automne, M. Charest répétait qu'un moratoire n'était «pas nécessaire». Le gouvernement ne se demandait pas s'il fallait exploiter le gaz de schiste, mais bien comment il fallait le faire. En effet, le mandat suivant avait été donné au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE): «Proposer un cadre de développement de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste.»

Le BAPE doit rendre son rapport le 28 février. Le gouvernement attend de le recevoir avant de prendre une décision.

Décrétera-t-on un moratoire si le BAPE le recommande? M. Charest refuse de s'y engager. «Je m'engage à respecter les conditions les plus strictes sur la question de la santé et sur le développement de cette industrie», s'est-il contenté de répondre vendredi.

Déclaration tardive

Le PQ trouve que la déclaration de M. Arcand arrive un peu tard. Il veut que le ministre passe de la parole à l'action. «Si le BAPE interprète à la lettre le mandat qu'on lui a donné, cela exclut un moratoire. On demande au ministre d'écrire au BAPE pour lui demander de se prononcer sur le moratoire», a dit Scott McKay, porte-parole de l'opposition officielle en matière de mines.

Après le rapport du BAPE, le gouvernement doit préparer une loi sur les hydrocarbures, qui régira l'exploitation du gaz de schiste. «Adopter une loi, ça prend pas mal de temps. On ne doit pas attendre, on doit faire un moratoire maintenant», dit M. McKay.

À l'automne, le PQ a présenté un projet de loi visant à faire cesser l'exploration jusqu'à ce que cette loi soit adoptée. M. McKay reconnaît que de suspendre temporairement les permis des entreprises est une chose «quand même grave». Mais c'est légal, selon lui. Une fois la loi adoptée, on prolongerait les permis pour une durée équivalente à celle de la suspension, a-t-il expliqué.

Québec solidaire a proposé un projet de loi similaire, que le gouvernement a rejeté tout comme celui du PQ. Même si elle souhaite un moratoire dès maintenant, Françoise David se réjouit tout de même de la déclaration de M. Arcand. «C'est un pas dans la bonne direction», a-t-elle dit.

Trois raisons à la volte-face

Le ministre Arcand a donné trois raisons à sa volte-face.

D'abord, des «infractions» de l'industrie et les fuites dans les puits. Des émanations de gaz ont été notées dans 19 des 31 puits inspectés depuis 2006. Certaines étaient inoffensives, selon le ministère des Ressources naturelles. Par contre, des gaz aux concentrations importantes de méthane (entre 7% et 65%) se dégageaient de sept puits, ce qui pouvait poser un problème.

Deuxième raison invoquée par le ministre: la fuite qu'il a fallu colmater à 2000 m de profondeur dans le puits de la société Talisman à Leclercville, en décembre dernier, une information qui n'avait d'ailleurs pas été transmise au BAPE avant d'être révélée dans les médias vendredi.

Et, dernière raison, le rapport préliminaire de l'Institut national de la santé publique du Québec, qui déclare manquer d'information pour déterminer si l'industrie pose un risque.

Selon la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, le manque d'information est une raison de plus pour la prospection et l'exploitation du gaz de schiste: à son avis, cela permettrait d'améliorer les connaissances en la matière. Actuellement en vacances à l'extérieur du pays, Mme Normandeau ne pouvait réagir aux déclarations de M. Arcand vendredi.