Les chevaux sauvages sont de retour dans le nord de la Sibérie. Tout comme le sont les boeufs musqués, des animaux velus qui partageaient jadis cette terre gelée avec le mammouth de Sibérie et le tigre à dents de sabre.

Les orignaux et les rênes sont aussi présents, et ils pourraient être un jour rejoints par des bisons et des cerfs provenant du Canada. Les prédateurs arriveront plus tard - des tigres de Sibérie, des loups et peut-être même des léopards.

Le scientifique russe Sergeï Zimov réintroduit ces animaux dans un territoire où on les retrouvait jadis en grand nombre, dans l'espoir de démontrer la validité de sa théorie selon laquelle la présence d'herbivores sur les plaines désertes de la Sibérie aidera à ralentir le réchauffement climatique.

«Il y a des gens qui ont un petit jardin. Moi j'ai un parc de l'ère glaciaire. C'est mon passe-temps», a dit M. Zimov de derrière sa barbe grisonnante.

Les changements climatiques sont ressentis plus nettement en Arctique que n'importe où d'autre, puisque les températures y augmentent plus rapidement qu'ailleurs. La plupart des scientifiques affirment que l'activité humaine provoque un réchauffement artificiel de la planète.

M. Zimov essaie de redonner naissance à un écosystème qui a disparu il y a 10 000 ans, avec la fin de la dernière ère glaciaire. C'est aussi à ce moment que le climat que nous connaissons aujourd'hui est apparu.

Il croit que des hardes entières d'animaux broutant les plaines transformeraient la toundra - où ne retrouve actuellement que des mélèzes maigrichons et de petits arbustes - en une plaine verdoyante. Des herbes hautes munies de racines complexes aideraient, croit M. Zimov, à stabiliser un sol qui se dégèle maintenant de plus en plus rapidement.

Les herbivores garderaient l'herbe courte et en santé, produisant des pousses fraîches tout l'été et tout l'automne. En hiver, les animaux écraseraient la neige qui, autrement, s'accumulerait et isolerait le sol de l'air froid. Cela empêcherait le permafrost de fondre et de libérer dans l'atmosphère de puissants gaz à effet de serre.

L'herbe reflète aussi la lumière du soleil plus efficacement que les forêts, ce qui aide à combattre le réchauffement climatique.

Il faudrait des millions d'animaux pour transformer le paysage de la Sibérie et sceller efficacement le permafrost. Mais si on les laisse à elles-mêmes, dit M. Zimov, les hardes de caribous, de bisons et de boeufs musqués peuvent se multiplier rapidement.

Le projet est surveillé de près non seulement par les climatologues, mais aussi par les paléontologues et les écologistes qui s'intéressent à cette tentative de remise à l'état sauvage.

«C'est une expérience très intéressante, a dit Adrian Lister, du Musée d'histoire naturelle de Londres. Je crois qu'il est valide, d'un point de vue écologique, de réintroduire des animaux qui habitaient là auparavant.»

M. Zimov a lancé le projet en 1989, en clôturant 160 kilomètres carrés de forêts, de marécages et de lacs. Ce secteur est entouré par un autre 600 kilomètres carrés de nature sauvage. Il a lancé son parc avec un troupeau de 40 chevaux de Iakoutie, une espèce semi-sauvage qui survit aux hivers sibériens grâce à un cuir épais, de multiples couches de graisse et sa capacité à déterrer des herbes sous un mètre de neige.

Il a aussi importé des orignaux et des boeufs musqués et son parc compte maintenant environ 70 animaux, mais il dit en vouloir des milliers. Mais il en coûterait 1 million $ US pour importer 1000 bisons d'Amérique du Nord - un coût qu'il juge modeste.

«Si le permafrost fond, ce sont 100 gigatonnes de carbone qui seront libérées dans l'atmosphère d'ici la fin du siècle, a-t-il prévenu. C'est quoi, 1 million $ US? Le montant d'une seule bourse ordinaire.»