Dans un jugement qui aura des répercussions dans tout le Québec, un producteur de canneberges a obtenu l'annulation d'une directive du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) sur la protection des milieux humides.

Le jugement rendu lundi en faveur de l'entreprise Atocas de l'Érable affirme que le MDDEP a agi «illégalement», et ce, depuis 2006.

La Cour supérieure a estimé que le Ministère violait le droit de propriété tel que garanti par la Charte des droits et libertés en exigeant des promoteurs de compenser la perte de milieux humides, par exemple en donnant aux fins de conservation un terrain d'une valeur écologique comparable.

Cette façon de faire a été instaurée dans une directive en 2006 par les fonctionnaires et elle a été utilisée des centaines de fois depuis.

Le juge Martin Dallaire annule cette directive parce qu'elle ne s'appuie sur aucune loi ni aucun règlement.

La Loi sur la qualité de l'environnement affirme que «quiconque» entreprend un projet «dans un marais, un marécage ou une tourbière doit préalablement obtenir du ministre un certificat d'autorisation». Mais il n'est nulle part question de compensation en cas de destruction. Cette mention se trouve dans une directive jamais publiée et dans un dépliant publié en 2006.

Les Atocas de l'Érable ont multiplié les démarches pendant trois ans pour obtenir un certificat d'autorisation afin d'agrandir leurs terrains en culture. Une fonctionnaire leur demandait une compensation pour la perte de tourbières.

Le juge Dallaire déclare que les fonctionnaires «et/ou le ministre ont illégalement considéré l'application de la directive [...] comme condition à la délivrance du certificat d'autorisation».

Le juge rappelle qu'un «propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est par voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité».

«Tout le monde de la construction est interpellé par ce jugement, affirme l'avocate de l'entreprise Atocas de l'Érable, Me Odette Nadon. Depuis 2006, tout le monde à la grandeur du Québec est à la merci des fonctionnaires du Ministère. Le juge dit que c'est arbitraire. Maintenant, il va falloir modifier la Loi sur la qualité de l'environnement et ensuite le ministre devra adopter un règlement.»

La mise en place de cette directive interne avait fait suite à l'échec du ministre Thomas Mulcair à faire adopter un règlement en bonne et due forme sur la protection des milieux humides. M. Mulcair a quitté le gouvernement Charest en février 2006 plutôt que de subir une rétrogradation, après avoir dû renoncer à ce projet fortement contesté dans le milieu de la construction.

Est-ce que toutes les «compensations» exigées depuis 2006 peuvent maintenant être contestées? «C'est une grave question à se poser, étant donné qu'il y a eu de l'abus de la part des pouvoirs publics», dit Me Nadon.

Elle affirme que, uniquement dans le domaine de la culture de la canneberge, une quinzaine de dossiers sont en suspens à cause des compensations exigées. «C'est rendu que les gens spéculent sur les milieux humides pour en avoir comme monnaie d'échange», dit-elle.

Vide juridique

Le jugement laisse «un vide juridique énorme», affirme Christian Simard, de Nature Québec, mais il était prévisible.

«C'est ça qui arrive quand les milieux humides ne sont pas inscrits dans la loi et qu'il n'y a pas de politique claire pour leur protection, dit-il. Le Ministère s'invente des directives internes alambiquées sans encadrement légal et le promoteur a beau jeu de les contester.» M. Simard souhaite lui aussi une modification à la loi et l'adoption d'une «vraie politique» de protection des milieux humides. Entre-temps, il souhaite que Québec porte le jugement en appel.

Il n'a pas été possible hier d'obtenir les commentaires du MDDEP ou du ministre Pierre Arcand à ce sujet.