Une multitude de pesticides se retrouvent dans les cours d'eau des zones de culture maraîchère, selon une étude commune de l'Université Laval et du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs. La concentration de 15 pesticides est si élevée dans un ruisseau de la principale zone maraîchère du Québec qu'elle dépasse pour chacun d'eux les critères de qualité de l'eau, mettant en danger la vie aquatique.

Ces résultats «nous ont ébranlés un peu, c'est certain», a dit hier à La Presse Isabelle Giroux, responsable du suivi des pesticides à la direction du suivi de l'état de l'environnement du Ministère. Et ils pourraient être obtenus ailleurs: «les cours d'eau qui ont la même proportion de cultures maraîchères pourraient présenter les mêmes problématiques, effectivement», a convenu l'experte.

Un insecticide - le chlorpyrifos - a été trouvé dans une concentration dépassant 628 fois le critère de toxicité aquatique chronique, révèle le rapport Pesticides dans l'eau de surface d'une zone maraîchère, publié le 22 décembre dernier. Cette dose est mortelle pour les poissons et invertébrés aquatiques à la base de la chaîne alimentaire.

Trente-six pesticides trouvés

C'est le ruisseau Gibeault-Delisle, situé dans le bassin de la rivière Châteauguay, qui a été échantillonné de 2005 à 2007. Un choix justifié: ce ruisseau est au coeur des «terres noires», une zone agricole où l'on trouve une grande partie de la culture maraîchère québécoise. Pommes de terre, oignons, carottes et laitues y poussent. Plus de 75% des superficies de production de légumes frais du Québec se trouvent en Montérégie.

Mauvaise surprise: 36 pesticides et produits de dégradation de pesticides ont été détectés dans le ruisseau. «Les concentrations mesurées sont souvent élevées», précise l'étude. En fait, l'ensemble des 83 échantillons prélevés au ruisseau Gibeault-Delisle contient un ou plusieurs pesticides excédant les critères de qualité de l'eau, une situation jugée «préoccupante». Du jamais vu depuis que le Ministère a commencé à surveiller, en 1992, les pesticides dans l'eau des milieux agricoles, s'attardant auparavant à la culture de céréales.

En comparaison avec la culture du maïs ou du soya, le secteur maraîcher utilise «de grandes quantités de pesticides par hectare», selon le rapport. Jusqu'à 20 applications par an peuvent se faire.

Doses mortelles pour les poissons

Résultat: 14 herbicides ont été trouvés, dont le diméthénamide dans 95% des échantillons. Treize insecticides ont aussi été notés, dont le chlorpyrifos dans tous les échantillons, toujours en dose dépassant le critère de vie aquatique aigu, au-delà duquel la mort des espèces aquatiques est prévisible. Deux fongicides ont également été décelés.

«Les communautés aquatiques de ce ruisseau sont sans aucun doute affectées par ce mélange de divers pesticides à des concentrations élevées», souligne le rapport.

Pas d'impact sur les légumes produits

Aucune prise d'eau potable ne se trouve dans ce ruisseau, ni dans les cours d'eau en aval, a précisé Hélène Simard, porte-parole du Ministère. Le ruisseau n'est pas utilisé pour irriguer les cultures non plus.

Doit-on craindre pour l'innocuité des aliments produits? «Ça nous a inquiétés, a répondu Mme Giroux. On a fait des vérifications avec le MAPAQ (ministère de l'Agriculture) et au niveau des résidus de pesticides dans les produits récoltés, il n'y a pas de problème. Le principal problème est un risque pour le secteur aquatique.»

Les résultats ont été présentés aux producteurs maraîchers «pour les sensibiliser à la situation», a indiqué Mme Giroux. Des actions pour limiter l'usage des pesticides leur ont aussi été suggérées.

Pourtant, André Plante, directeur général de l'Association des jardiniers maraîchers du Québec, a dit hier ne pas avoir eu connaissance du rapport. «Mais c'est sûr qu'on est très préoccupés par les pesticides, a-t-il assuré. On ne veut surtout pas qu'il y ait une mauvaise perception des consommateurs: on essaie toujours d'en utiliser le moins possible.»