L'Arctique se réchauffe, et vite. Si vite, en fait, que les routes ne tiennent plus, que les bâtiments risquent de s'écrouler et que l'existence même de certains villages est menacée par l'érosion rapide des côtes.

Au moment où les prédictions les plus pessimistes se réalisent, le Canada doit non seulement réduire ses émissions, il doit surtout se préparer au pire en s'adaptant dès maintenant aux changements climatiques qui ont déjà cours dans le Nord, soutient la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE), dans un vaste rapport qui sera dévoilé aujourd'hui à Ottawa et que La Presse a obtenu.

«Le monde fera probablement face à des décennies de réchauffement. L'adaptation est la seule façon de réagir qui s'occupe d'effets qui sont maintenant inévitables», souligne l'organisme, dont la mission est justement de conseiller le gouvernement.

Cela signifie des changements dans la façon de construire les routes et bâtiments afin qu'ils soient plus solides, des investissements dans des infrastructures mieux adaptées à un climat changeant et des recherches scientifiques plus poussées sur les futurs impacts climatiques dans le Nord, afin que le Canada puisse faire face aux conséquences du réchauffement, aujourd'hui et demain.

Peu préparé

Or, Ottawa, justement, n'a pas encore jugé bon de préparer le pays afin qu'il puisse faire face aux impacts du réchauffement de la planète. «Une action coordonnée et stratégique à l'appui de la préparation du Canada fait cruellement défaut», précise-t-on.

Pourtant, l'Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète depuis 100 ans, la hausse ayant atteint 1,5 °C comparativement à 0,74 °C. D'importants impacts sont donc à prévoir, mais surtout, certains se font déjà cruellement sentir.

À grande échelle, par exemple, l'état du passage du Nord-Ouest prouve depuis quatre ans que des changements sont en cours. Habituellement impraticable à longueur d'année, il est navigable en période estivale depuis 2006. Les scientifiques, d'ailleurs, ont dû revoir leurs prévisions à cet effet : les eaux de l'Arctique devraient être libres de glace non plus en 2050, mais bien en 2020.

Les nouveaux aléas climatiques se font aussi sentir à plus petite échelle. Les routes de glace, par exemple, ne sont plus carrossables que pendant de courtes périodes. L'humidité est en hausse, ce qui alourdit la neige et menace d'écroulement les bâtiments qui ne sont plus assez solides.

Les cycles de gel-dégel sont plus fréquents et plus rapides, ce qui a un grand impact sur les infrastructures. En 2005, par exemple, cela a contribué à l'effondrement du sol de l'aéroport d'Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.

La fonte du pergélisol, d'ailleurs, menace elle aussi les infrastructures aéroportuaires. Même chose pour les pipelines d'hydrocarbures, les routes et les tours de télécommunications.

L'érosion se fait aussi de plus en plus marquée en raison de la perte de glace marine et de l'intensification des tempêtes. Le village de Tuktoyaktuk l'a appris à ses dépens : l'érosion côtière gruge environ deux mètres par année, ce qui a récemment obligé les autorités à déplacer une école ainsi que le quartier général de la Gendarmerie royale du Canada.

«Les changements que vit l'Arctique surviennent à un rythme beaucoup plus rapide que ne le prévoyaient les projections scientifiques, même les plus pessimistes, note la Table. (...) Étant donné les nombreux risques qu'un climat changeant représente pour notre économie et notre environnement, il n'y a pas de temps à perdre»,

plaide le rapport.

Parmi sa douzaine de recommandations, la TRNEE estime donc important qu'Ottawa acquière davantage de données scientifiques sur les futurs impacts climatiques dans le Nord, mais elle suggère aussi des mesures concrètes comme la mise à jour des codes du bâtiment et un meilleur financement des infrastructures.