Nous sommes plaqués contre le mur, dans le tunnel du métro. Les phares du train, qui fonce sur nous, scintillent dans la pénombre. Dans quelques secondes, 180 tonnes de métal bleu et blanc, filant à 75 km/h, passeront devant nous. Le train progresse en glissant comme un immense serpent. Juste avant de passer devant nous, il projette une forte bourrasque de vent chaud. Le grondement caractéristique du métro devient assourdissant. Et ça y est, le train est là. À 50 cm de notre visage.

Nous sommes à la hauteur des roues. Vu d'ici, le train est haut comme un petit immeuble. Les voitures sont si près que nous distinguons notre reflet, un peu flou, sur le vernis de la peinture. Après le passage du métro, le silence est total. On se croirait sous l'eau.Nous continuons notre progression dans le tunnel, entre les stations Jarry et Crémazie. Nous marchons dans un couloir large d'un peu plus d'un mètre. À notre gauche, le mur du tunnel. À notre droite, la barre de guidage, où passe le courant de 750 volts. Il faut faire très attention où on met les pieds.

Nous n'avons pas vécu l'expérience métro ultime - deux trains qui passent simultanément. Les deux trains, en se croisant, lancent des bourrasques contradictoires. « Il faut être solide sur ses pieds », dit Stéphane Paradis qui nous accompagne dans cette excursion un peu spéciale.

Pour nous, les étrangers, l'expérience de passer le portillon interdit - 750 volts, danger - qui mène au petit escalier descendant à la voie, a été grisante. Mais pour Stéphane Paradis et son collègue Alain Rochette, c'est le quotidien. Les deux hommes passent toutes leurs journées dans les tunnels. Ils sont « parcoureurs » pour la Société de transport de Montréal.

Boulot : « entendre » les problèmes

Les 28 parcoureurs de la STM passent leurs journées dans les tunnels, de jour, pendant que le métro passe, l'ouïe en alerte. Leur boulot, c'est « d'entendre » les problèmes mécaniques de la voie, qui ne peuvent être décelés qu'à l'oreille, quand

le train passe.

Un toc, toc sourd accompagné d'une vibration montre que certaines pièces de la voie ne sont pas assez serrées. À certains endroits de la voie, là où se rencontrent deux zones électriques, des plaques en acier peuvent être mal vissées. En passant dessus, le « frotteur » du métro fait aussi un bruit bien audible.

En entendant ces sons louches, l'un des parcoureurs se rend sur la voie, lampe de poche en main, pour vérifier la pièce. Son collègue - les parcoureurs travaillent toujours en équipe de deux - fait, lui, office de vigie. Dès qu'il entend le métro venir, il alerte son collègue. S'il s'avère qu'un ajustement des pièces est nécessaire, ils le signalent aux cantonniers qui viendront, la nuit, réparer la voie.

Les parcoureurs peuvent aussi être mis à contribution pour d'autres tâches. Récemment, un homme est entré dans les tunnels à la station Saint-Laurent, en pleine heure de pointe du matin. Stéphane Paradis l'a approché pour lui demander de sortir de là. « Il m'a envoyé promener. C'est la police qui est venue le ramasser. » L'homme a émergé à la station Guy.

Travailler dans les tunnels, c'est devenu une habitude pour Stéphane et Alain. Lorsque le train passe, Alain Rochette ne se plaque plus contre le mur. Il se tient debout dans l'étroit passage comme il le serait dans son salon. De sa lampe de poche allumée, il fait un petit signe de salutation à l'opérateur du métro. Totalement cool.

Les parcoureurs sont longuement formés avant de mettre les pieds dans un tunnel. « La nuit, le courant est coupé. Les cantonniers peuvent marcher partout, ils peuvent s'asseoir sur la barre de guidage. Le jour, c'est une autre histoire », dit Martin Chartrand, surintendant des voies, le patron des parcoureurs.

« Certains collègues m'ont déjà dit qu'eux, ils ne feraient jamais ça », dit Stéphane Paradis. Effectivement, tout le monde ne peut pas être parcoureur. Imaginez : lors des occasionnelles coupures de courant, les parcoureurs sont pris dans le tunnel dans l'obscurité la plus complète. Un noir oppressant. Claustrophobes, s'abstenir.