L'augmentation de la prévalence de l'obésité ou d'un surplus de poids, en particulier chez les jeunes des générations récentes, inquiète à juste titre les autorités de la santé publique et les professionnels de la santé.

Une étude publiée le 20 juillet dans le Journal de l'Association médicale canadienne (JAMC) portant sur l'évolution des facteurs de risques de maladies cardiovasculaires rappelait le fait que les personnes qui font de l'embonpoint ont un risque accru d'hypertension et de diabète.

 

Cependant, sur la base de ces études, peut-on aller jusqu'à affirmer que la hausse de l'obésité pourrait faire diminuer l'espérance de vie des générations actuelles, ou en d'autres mots que «les enfants d'aujourd'hui pourraient vivre moins longtemps en moyenne que leurs parents»? Cette affirmation est lourde de conséquences et nuit à notre avis au message que souhaitent passer les intervenants en santé publique et les médecins.

Rétablissons les faits. D'abord, l'espérance de vie à la naissance au Canada et au Québec a augmenté d'environ 25 ans de façon continue depuis aussi longtemps que les statistiques de l'État civil nous permettent de la calculer, soit depuis 1921. Il n'y a pas de raison de penser que cet indice pourrait diminuer au cours de prochaines décennies, pas du moins sur la base des données sur l'obésité. Les projections démographiques récentes de l'Institut de la statistique du Québec et de Statistique Canada vont d'ailleurs dans ce sens.

Ensuite, bien que l'obésité présente des risques accrus de développer des maladies cardiovasculaires, le diabète et certaines formes de cancer, elle ne constitue pas nécessairement un risque mortel. En fait, cela est d'autant moins vrai puisque l'on connaît des améliorations notables des traitements pour le diabète et les maladies cardiovasculaires et que la mortalité par maladies de l'appareil circulatoire est en forte diminution depuis 30 ans.

Bien sûr, le nombre moyen d'années vécues en bonne santé (l'espérance de vie en santé) risque de diminuer, mais pas nécessairement le nombre moyen total d'années vécues (l'espérance de vie totale).

Enfin, la proportion des obèses parmi l'ensemble de la population est très minoritaire: 14% au sein de la population canadienne de 12 ans et plus, et 7% chez les 2 à 17 ans au Québec. Même en admettant que les personnes présentant un surpoids aient aussi un risque de décès accru, cet excédent ne pourrait influencer à la hausse la mortalité de l'ensemble de la génération à un point tel que la vie moyenne de la génération diminuerait.

Ajoutons que selon l'Institut national de santé publique du Québec, on observe actuellement une stabilisation de la prévalence de l'embonpoint et de l'obésité chez les jeunes québécois, autant sur la base des données autodéclarées que de données anthropométriques réelles.

Donc, il est peu vraisemblable que les jeunes d'aujourd'hui vivent moins longtemps que leurs parents en raison de la présence même accrue de l'obésité.

Notre intervention vise à éviter que d'autres personnes reprennent le discours alarmiste de la baisse possible de l'espérance de vie comme ce fut le cas du cardiologue Stéphane Rinfret qui a participé à l'étude publiée dans le Journal de l'Association médicale canadienne et de l'administrateur en chef de la santé publique du Canada, le Dr David Butler-Jones dans des interventions publiques récentes.

L'origine de cette controverse vient d'un article publié en 2005 dans le New England Journal of Medicine (NEJM) par un groupe de biologistes et de médecins américains qui trouvaient trop optimistes les projections de la mortalité faites par les démographes et laissaient entrevoir la possibilité que les enfants d'aujourd'hui vivraient moins longtemps que leurs parents à cause de l'augmentation de l'obésité. La méthodologie de l'étude a été sérieusement remise en question par plusieurs chercheurs.

Soyons clairs. Nous ne cherchons pas à minimiser l'importance de l'embonpoint comme facteur de risque pour développer certaines conditions morbides comme l'hypertension et le diabète. La lutte contre l'obésité par la promotion de l'activité physique, d'une meilleure alimentation et de saines habitudes de vie doit constituer une priorité dans les interventions en santé publique, car les coûts économiques de l'obésité sont énormes (environ 147 milliards par année aux États-Unis) et parce que la qualité de vie des personnes obèses, soit les années vécues en bonne santé, sera forcément diminuée.

La progression de l'espérance de vie au sein des générations actuelles n'est pas menacée par l'obésité, comme elle n'a pas été interrompue par la montée du tabagisme il y a plusieurs années.

Les auteurs sont respectivement directeur et professeur titulaire, et professeur émérite au département de démographie de l'Université de Montréal.