On nous annonce, encore une fois, que la métropole glisse vers l'anglicisation si rien n'est fait pour stopper la tendance, majoritaire chez les immigrants, à adopter l'anglais comme langue d'usage, en particulier dans la région de Montréal.

Encore une fois, chacun commente. Il va s'en trouver pour suggérer qu'on fasse comme d'habitude: qu'on sorte manifester, fleurdelisé en tête. Car cela on sait faire! Le malheur est qu'une fois la manif terminée, le Montréalais retourne chez lui écouter la télévision américaine et acheter ses cigarettes et sa grosse bière en anglais chez son dépanneur du coin. Nous adorons manifester, mais nous n'avons aucune cohérence quand vient le temps de vivre ce pour quoi nous manifestons.

Dans les années 70, à la suite de l'élection du PQ, des dizaines de milliers d'irréductibles anglophones ont décidé de quitter le Québec. À la même époque, grâce à la loi 101, l'école en français est devenue obligatoire pour tous les nouveaux arrivants. Bravo! Cependant, 30 ans plus tard, le Montréalais francophone moyen n'a toujours pas réalisé qu'un Québécois anglophone, ça n'existe plus! Tous les anglophones ainsi que tous les allophones sont maintenant au moins bilingues. Les uns parce qu'ils ont décidé de rester ici dans les années 70, les autres parce qu'ils ont étudié en français pendant au moins 11 ans avant d'entreprendre des études supérieures ou d'entrer sur le marché du travail. Alors me direz-vous, pourquoi le français est-il en régression? À cause des francophones de Montréal et de la région!

À l'échelle du pays, nous sommes des minoritaires! En tant que tels, pour survivre nous devrions avoir de la persévérance, de la solidarité, du respect pour nous-mêmes, ce que nous n'avons pas. Et nous utilisons tous les faux-fuyants possibles pour nous cacher l'évidence de notre lâcheté. Nous sommes individuellement trop faibles, trop impuissants pour imposer notre langue. Nous préférons nous leurrer et nous dire que nous sommes tolérants, accueillants et tutti quanti!

Nous nous sommes donné des moyens juridiques, mais nous n'étions pas et ne sommes toujours pas à leur hauteur. Une fois la loi 101 votée, nous avons pensé que nous pouvions retourner nous coucher dans notre grand lit de colonisés et rêver que les immigrants allaient se franciser pour nos beaux yeux. Nous avons pensé (et je pense que nous pensons toujours) que des lois suffisaient: qu'il n'est pas nécessaire de se respecter au jour le jour pour être respecté par les autres. Combien d'immigrants n'a-t-on pas humiliés en répondant dans notre anglais, la plupart du temps minable, aux questions qu'ils nous posaient dans un français laborieux? Combien d'anglophones sont retournés à l'anglais parce que, trop heureux de leur montrer comment on pouvait (mal) parler leur langue nous répondions en anglais à leurs questions en français?

Dans la grande région de Montréal, nous sommes une société linguistiquement en voie d'extinction. On aura beau blâmer les immigrants, le marché du travail, ou quoi que ce soit d'autre, dans les faits notre recul n'est que le résultat de la multitude de nos petites lâchetés quotidiennes. Cette lâcheté est la nôtre et tant que nous n'y ferons pas face, nous allons continuer à perdre du terrain.

Si nous étions seulement la moitié du «grand peuple» que René Lévesque suggérait que nous étions au soir de la défaite du premier référendum, nous ne serions pas réduits, trente ans après l'instauration de la loi 101, à commenter le constat de notre régression et de notre agonie collective à venir.