Le Québec deviendra un jour un pays indépendant, affirme Michael Ignatieff. L'ancien chef libéral estime que le Québec et le Canada n'ont plus rien à se dire. Pensez-vous que sa prédiction va se réaliser? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



PLUS DÉPENDANT QUE JAMAIS



À mes yeux, les prédictions d'un politicien ne valent guère mieux que ses promesses électorales. Il y a un mois, Justin Trudeau ne se reconnaissait plus dans le Canada. Cette semaine, c'est Michael Ignatieff qui prédit que le Québec vogue vers l'indépendance. Décidément, les libéraux s'ennuient des feux de la rampe! Cessons de nous raconter des histoires. Les conditions gagnantes pour réaliser l'indépendance du Québec ne cessent de reculer. M. Ignatieff oublie que les appuis à la souveraineté s'étiolent depuis le dernier référendum; que le Québec a une dette de 250 milliards $; que ses citoyens sont parmi les plus taxés en Amérique du Nord; et que 10 % de son budget provient de la péréquation canadienne. La réalité, c'est que le Québec est plus dépendant que jamais du Canada. Tellement dépendant, que les provinces de l'Ouest sont de moins en moins indifférentes à nous transférer des milliards de dollars pour qu'on puisse se payer des programmes sociaux qu'elles-mêmes n'ont pas les moyens de s'offrir. Dans son élan de logique prédictive à long terme, Michael Ignatieff aurait aussi pu considérer la possibilité que le Canada éclate avant que le Québec ne déclare son indépendance. Tant qu'à faire des prédictions!

Pierre Simard

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



EH BIEN, OUI!



Est-ce que les Québécois seront les derniers à accepter qu'ils ont tout ce qu'il faut pour se faire un pays bien à eux? Pour les observateurs de l'extérieur, c'est une évidence qui crève les yeux. Rappelons-nous que ce sont des journalistes français qui, lors d'un interview de Jean Charest à la télévision française, ont forcé le premier ministre du Québec à admettre que oui, évidemment, le Québec avait la capacité réelle de devenir un pays souverain. Que c'est Peter White et maintenant Michael Ignatieff qui, après de nombreux observateurs de langue anglaise, viennent d'affirmer que le Québec et le Canada sont devenus deux pays distincts qui ont de moins en moins de rapports significatifs entre eux. Cette séparation sociologique, qui est déjà évidente et qui va en augmentant, ne peut faire autrement que de se transformer, à plus ou moins long terme, en une séparation politique. En effet, c'est une règle bien établie en sciences politiques que le droit suit toujours la sociologie: lorsque la réalité a changé, il vaut toujours mieux y adapter les structures politiques. Les Québécois sont des gens prudents et ils ont raison de l'être, car l'histoire les a soumis à de multiples épreuves qu'ils ont su surmonter avec courage et persistance. Il leur reste maintenant à accroître leur confiance en soi, de façon à pouvoir récolter les fruits de ces années de patience et de détermination.


Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



MAUVAISE LECTURE



M. Ignatieff n'en est pas à sa première réflexion qui fait sourciller. Sa brève carrière politique a été parsemée de déclarations maladroites et franchement surprenantes pour un homme aussi intelligent et cultivé. Ceci étant, il se peut que M. Ignatieff croit vraiment que le Québec se dirige vers l'indépendance. Cela démontre une méconnaissance profonde des réalités du Québec. Comme l'indique tous les sondages depuis des années, l'option souverainiste perd du poids inexorablement. La chute du Bloc, la faiblesse du Parti québécois, l'absence de renouveau au sein des forces de l'indépendance toujours représentées par les voix des années 70 sont autant de preuves que le Québec n'a plus le goût de tenter cette aventure risquée au péril de nos acquis. Le Québec n'a plus peur de rien ni personne. Nous pouvons nous mesurer aux meilleurs tout en préservant notre culture dont notre langue est un élément pivot. L'absence des éternelles querelles entre le Québec et le reste du Canada n'est peut-être pas un signe d'indifférence, comme l'affirme M. Ignatieff, mais tout simplement une démonstration que nous sommes passés à autre chose et que, finalement, nous avons compris que le temps perdu à se chicaner est autant de temps perdu à ne pas développer notre économie et nos relations avec les marchés étrangers.

Denis Boucher

Claudette Carbonneau

Ex-présidente de la CSN.



INÉLUCTABLE



L'indépendance du Québec est inéluctable. Jamais le coeur et la raison n'ont autant pointé dans la même direction. Des changements majeurs sont intervenus depuis les derniers référendums. Fini les conflits de loyauté, la population et les jeunes en particulier se définissent de plus en plus comme Québécois d'abord! Nous sommes beaucoup moins dépendant de l'économie canadienne au point où des fédéralistes comme Jean Charest doivent maintenant reconnaître que l'indépendance est réalisable. Notre jeunesse qui cherche à s'imposer avec vigueur dans le débat politique ne se contentera pas longtemps d'un État tronqué. Elle voudra sur des sujets qui lui sont chers, comme la mondialisation et l'environnement faire entendre la voix du Québec. Parce qu'elles heurtent nos valeurs, les politiques du gouvernement Harper ne font qu'attiser le goût d'assumer nous même notre destin. Ce ne sont pas les nouveaux pouvoirs évoqués par M. Ignatieff mais plutôt l'immobilisme canadien en matière constitutionnelle qui ne cesse d'élargir le fossé entre les deux solitudes. Quand le coeur et la raison sont réconciliés, quand on comprend que l'indépendance est non seulement réalisable mais préférable, l'urgence de choisir va s'imposer tout comme la maturité amène le goût de conduire sa barque en toute sérénité.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



CHANGER DE GOUVERNEMENT À OTTAWA



En regardant les politiques du gouvernement Harper, la conclusion s'impose : le Canada harpérien s'éloigne inéluctablement du Québec. En cela, Michael Ignatieff a raison. Je ne reconnais plus le Canada où j'ai choisi de vivre il y a 42 ans. Les politiques contraires aux valeurs progressistes se comptent par dizaines et font dire à certains que le Québec devrait divorcer. Toutefois, le Canada n'est pas Stephen Harper - heureusement! On a trop tendance à considérer le « Rest of Canada » comme une entité homogène. N'oublions pas que dans l'ensemble du Canada, aux élections fédérales de 2011, seulement 39,6 % de votes sont allés aux conservateurs, alors que le NPD en a récolté 30,6 %. Si le Québec a fourni 59 sièges au NPD, le ROC a quand même généré 44 sièges. Nous sommes en démocratie et nous, les citoyens, pouvons changer le gouvernement fédéral. Une réflexion s'impose. Voulons-nous quitter le Canada, un grand pays riche et  (encore) respecté, à la construction duquel de nombreuses générations de Québécois ont tant contribué? Ou préférons-nous nous investir pour exercer une réelle influence à Ottawa et déloger les conservateurs? Sans doute, plusieurs électeurs du NPD au Québec en 2011 avaient cette deuxième option en tête. Du moins, c'était mon cas.

Jana Havrankova

Pierre Curzi

Député indépendant de Borduas.



LE RENFORCEMENT DES DEUX SOLITUDES



Les trois quarts des citoyens du Québec croient qu'il est normal de posséder les pleins pouvoirs sur leur langue, leur culture, leur immigration,  leur environnement, leur justice, leurs revenus, leur présence sur la scène internationale. Au même moment de l'histoire, la grande majorité des citoyens du reste du Canada croit l'exact contraire. Michael Ignatieff ne fait que constater le renforcement de ces deux solitudes. Une démarche démocratique qui mènerait 40% des citoyens québécois à constater l'impossibilité pour la fédération d'accéder à leurs demandes, conjugué au 40% de citoyens québécois qui sont arrivés au même constat depuis quelques dizaines d'années donnerait une large majorité de Québécois susceptibles de voter sereinement l'indépendance du Québec.Quelques pas à franchir.

Le Soleil, Yan Doublet

Pierre Curzi

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



POUR QUOI FAIRE?



L'indépendance du Québec est déjà accomplie dans l'esprit de millions de Québécois. Qu'elle se réalise sur le plan politique compte beaucoup moins maintenant que pendant la Révolution tranquille. Sur le plan de l'entrepreneuriat, le Québec se démarque par son ingéniosité : Bombardier, Quebecor, Metro, Jean Coutu, Couche-Tard, etc. Sur le plan culturel, les artistes québécois défient les frontières : Guy Laliberté, Robert Lepage, François Girard, Luc Plamondon, Céline Dion, Denis Villeneuve, Denys Arcand et plusieurs autres. Sur le plan social et économique, le modèle québécois fait l'envie de plusieurs sociétés : les garderies à 7 $, la Société générale de financement, Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement, les cégeps et l'Université du Québec sont des fleurons de ce modèle. Sur le plan de la langue, le français se porte somme toute assez bien. On peut défendre la langue française à l'intérieur du Canada, pourvu qu'on reste vigilant. Il n'y a finalement que sur le plan politique que le Québec n'a pas réalisé son indépendance. Est-ce inévitable en regard de toutes les réalisations des Québécois depuis la Révolution tranquille? Probablement pas.

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



UN PASSAGE OBLIGÉ!



Michael Ignatieff a constaté comme bien d'autres avant lui que la souveraineté du Québec est un passage obligé à faire pour que les deux peuples fondateurs de ce grand pays puissent vivre en paix et dans l'harmonie. La souveraineté du Québec n'est pas une rupture sauvage avec le Canada; c'est tout simplement une reconnaissance explicite et officielle qu'il existe dans ce pays, deux entités de cultures différentes qui doivent se respecter mutuellement et vivre dans le respect l'une de l'autre. On a trop longtemps ostracisé les gens en affublant les souverainistes du Québec, de méchants séparatisssssses qui veulent démolir le beau pays du Canada. En quoi la reconnaissance de la culture québécoise menace-t-elle la culture canadienne? Ne serait-ce pas plutôt le contraire qui peut se produire si nous demeurons une province comme les autres? L'attitude actuelle du gouvernement conservateur en matière de justice, de culture et d'économie nous est complètement étrangère et menace notre culture et notre identité québécoise. Non pas que les québécois sont meilleurs ou moins bons que les canadiens! Nous sommes tout simplement différents et nous devons respecter nos différences. Ignatieff n'est pas un visionnaire. Il vient juste de prendre conscience que la survie de ces deux peuples ne peut se faire que par leur indépendance et leur souveraineté. Qu'on le veuille ou non, le Québec et le Canada sont deux pays distincts. Nous avons eu deux occasions de l'affirmer : en 1980 et en 1995. Par deux fois, nous avons refusé de le faire, car la nouveauté fait toujours peur. Un jour ou l'autre, il faudra bien nous rendre à l'évidence que c'est le seul chemin à emprunter si nous voulons assurer la paix et l'harmonie entre Québécois et Canadiens.

Raymond Gravel

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



QUE S'EST-IL PASSÉ?



Il y a un an à peine, Michael Ignatieff, alors chef du PLC en campagne électorale, plaidait pour que le Québec, bien que différente des autres provinces, fasse partie d'un Canada unis qui accepte ces différences. En avril 2011, M. Ignatieff clamait haut et fort: « Il faut montrer que le Canada, ça marche, que le fédéralisme d'ouverture ça marche, que ça peut livrer des résultats concrets aux familles.»  Lors de la course à la direction du PLC en 2006, Michael Ignatieff disait: « Nous vous offrons la liberté d'appartenance : celle d'appartenir au Canada et d'appartenir au Québec, dans l'ordre qui vous semble bon. » Mais que c'est-il donc passé depuis un an pour que l'ancien chef du PLC devienne si fataliste face à la situation du Québec au sein du Canada? Est-il réaliste de penser que M. Ignatieff avait déjà cette opinion lors de sa dernière campagne électorale, mais le fait de la véhiculer aurait occasionné la fin de sa carrière politique au fédéral? Si tel était le cas, Michael Ignatieff est comme la plupart de nos politiciens. Il dit ce qu'il doit dire afin de vaincre une élection et non pas ce qu'il pense vraiment.

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial.



LES CALENDES GRECQUES



Les Québécois entendent parler de souveraineté, d'indépendance, de souveraineté-association, d'union confédérale depuis plus de 40 ans. Aucun leader du PQ n'a parlé franchement de l'indépendance du Québec. Mis à part Jacques Parizeau. Et encore: il s'est fait avoir lorsqu'il a participé à la trinité politique du référendum de 1995. Les différentes péripéties du PQ, son cha-cha-cha politique constant, me porte à croire que l'indépendance du Québec, si elle se fait, ne se fera pas à partir d'une volonté ferme et populaire des Québécois. Elle se fera contre leur volonté, par rejet du Canada anglais. Je pense que c'est ce que voulait dire l'ancien chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, lors de son entrevue à la BBC. Le Québec peut bien, de temps en temps, songer à faire son indépendance. Quant on voit les jeunes dans la rue pour, 325 $ par année, on est loin du don de soi-même pour réaliser le grand rêve de la libération collective. Faire l'indépendance, demande des sacrifices, de l'abnégation, de la solidarité et quelques moments de turbulence. Or, en ces temps difficiles, chacun veut piger dans le plat même si le plat est... vide.