Il n'y a pas que les sondages qui confortent Jean Charest. Mine de rien, les deux tiers des étudiants et élèves des universités et cégeps du Québec sont en train de terminer leur trimestre sans drame.

À peu près tous les étudiants en sciences, en économie, en commerce, en maths, en droit, en génie, en médecine et en pharmacie sont hors du mouvement.

Les associations qui ont voté pour la grève sont essentiellement celles de départements de sciences sociales et humaines et d'arts.

Ça fait beaucoup de gens en dehors des salles de cours. Mais ça fait une solide majorité d'étudiants qui ne jugent pas la hausse suffisamment dramatique pour justifier de suspendre leurs études ou mettre en péril leur trimestre.

Il y a depuis toujours des lignes idéologiques qui séparent les départements. On va dire que socio à l'UQAM est plus à gauche que Poly ou HEC, O.K.?

Mais ne vous fiez pas au cliché: il y a une logique mathématique impeccable derrière les votes de grève.

Un étudiant en philo paie 40% de sa formation. Statistiquement, ses perspectives de revenus ne sont pas mirobolantes. Une hausse de 75% en cinq ans, ou de 82% en sept ans, est beaucoup plus injuste pour lui que pour l'étudiant en médecine.

Ce dernier ne paie pas 10% de sa formation. Et même en étant 10 ans hors du marché du travail à étudier, il touchera en moyenne 2 millions de plus qu'un titulaire de DEC dans sa carrière médicale.

Pour l'étudiant en médecine, la formation, même à deux fois le prix actuel de 2200$ par année, est une aubaine. Ce n'est pas pour rien que les banques leur courent après dès leur première année de médecine...

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Tous les programmes ne se valent pas, mais ils coûtent tous le même prix. Certains certificats donnés par des chargés de cours mal payés ne valent pas ce que donnent des facultés bien garnies où enseignent des chercheurs de haut niveau.

Autrement dit, une hausse massive est relativement injuste selon le programme qu'on a choisi.

Sauf qu'au gouvernement comme dans les associations étudiantes, personne ne veut parler de variation dans les droits de scolarité. Une solution unique pour tout le monde: ce traitement «égal» force certains à absorber plus qu'ils ne le devraient; les votes de grève l'expriment.

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Laissons de côté le débat sur le processus. On pourra décortiquer jusqu'à l'an prochain la stratégie du gouvernement Charest. Le fait est que des associations étudiantes refusent ces hausses. Et qu'elles ont réussi à mobiliser et à tirer profit de la détestation générale envers Jean Charest.

Qu'on ait commencé à négocier en janvier, que le gouvernement ait été tout miel, que Jean Charest s'abstienne de faire une blague... Ça ne change pas grand-chose au fond des choses.

Le fond des choses est que l'université québécoise, en particulier l'université francophone, perd du terrain par rapport aux autres universités canadiennes. Parce que pendant des années, les gouvernements (y compris ceux de Jean Charest) n'ont pas osé dégeler les droits de scolarité.

Les fonds de recherche du pays attribués aux universités québécoises ont diminué comparativement aux grandes universités canadiennes.

Ça veut dire moins d'argent pour la science qui se fait en français au Québec.

En comparant les revenus des universités québécoises à la moyenne canadienne, on arrive à plus de 600 millions de manque à gagner. Ça veut dire plus de 1200 profs à temps plein.

Et comme les diplômés des universités francophones et les entreprises commencent à peine à fournir leur part pour financer nos universités, on est à la traîne de manière de plus en plus marquée.

Les meilleurs chercheurs se font aspirer par les universités qui ont les moyens de mettre sur pied des équipes de recherche, des labos où il se passe quelque chose d'important. Cela a un effet d'entraînement sur les étudiants.

Ça ne paraît pas trop, ça ne fait pas les manchettes, mais petit à petit, l'université québécoise devient de plus en plus médiocre.

Épluchez tous les comptes de frais des recteurs, sortez toutes les niaiseries administratives, tous les scandales financiers, on n'en sort pas.

Cet argent de plus, qui vient des hausses de droits, va combler une partie de ce déficit. La majorité des étudiants l'ont accepté. Comme par hasard ceux qui profitent le plus. La proposition est loin d'être aussi bonne pour tout le monde, je l'ai dit.

Mais quand on analyse les améliorations aux bourses et aux prêts proposées hier, les nouvelles modalités de remboursement et l'étalement de la hausse, à 250$ par année, on ne peut plus dire qu'on bloquera l'accès à qui que ce soit.