Il y a quatre ans, quand une policière a pointé son revolver dans sa direction, Marc était prêt à en finir.

«Vas-y, tire!»

Sa femme avait appelé la police, vu qu'il menaçait de se suicider. Quand les agents sont arrivés, il a sorti un vieux pistolet à plombs et l'a braqué dans leur direction.

«On appelle ça une tentative de suicide assisté par la police», me dit Marc.

Mais au même instant, un ami s'est mis devant lui et a dit aux policiers de ne pas tirer. Marc a déposé le pistolet. L'ami lui a sauvé la vie à une seconde près.

Marc a passé un mois en prison. Ce n'était même pas encore le fond.

Il avait déjà deux filles de deux mères. Il en a eu une autre avec une troisième femme.

Dans ce temps-là, il fumait une once de pot par semaine. «Ça fait à peu près 15 joints par jour. Je fumais ça comme des cigarettes, en plus de l'alcool, de la coke, d'autres affaires aussi...»

La troisième mère en a eu assez - elle aussi. En revenant d'une fête, une nuit, il a trouvé le logement vide. La note disait: «Je suis tannée, je pars.»

Il s'est retrouvé aux urgences psychiatriques - j'ai oublié de dire qu'il est bipolaire.

Le voici donc dans l'aile psychiatrique, recevant la visite de l'huissier, venu saisir les biens dans l'appartement, puis un autre pour le divorce.

«Mettons que ça remonte pas trop le moral.»

En ce mois de mars 2009, à l'hôpital, il n'a plus de job (un accident du travail), pas de revenus, plus de logement.

Et maintenant, la police vient lui dire qu'il est accusé d'avoir battu sa compagne et son bébé.

«Tu peux pas vraiment tomber plus bas...»

Il lui restait deux sacs-poubelles avec ses vêtements, ses outils et sa vieille Golf rouillée.

Tu vas où?

***

Il avait entendu parler de la Maison Oxygène, à l'époque le seul centre d'hébergement père-enfants au Québec (un autre a ouvert à Baie-Comeau depuis).

Avant d'accepter un type avec des problèmes psychiatriques, de consommation majeure, colérique et accusé d'actes de violence, la maison a exigé des lettres de recommandation de ses médecins.

On l'a pris. Il y est resté un an.

«C'est pas compliqué: sans eux, je serais mort.»

Ce qu'ils ont fait? Ils l'ont aidé à s'organiser. Ils ont mis en contact la DPJ, son psy, le centre de désintoxication, son thérapeute de «gestion de la colère»; ils ont analysé ses problèmes juridiques, ils l'ont aidé à trouver un logement, ils l'ont fait entrer dans leurs ateliers de musique (il joue du sax). Ils l'ont calmé quand il paniquait.

Les accusations sont tombées en ce qui concerne sa fille - pour la mère, il a reconnu l'avoir empoignée.

Il ne consomme plus. Il a maintenant pratiquement la garde partagée de sa plus jeune, qui a 3 ans.

Mais ses deux autres filles, maintenant adolescentes? Il ne les a pas vues depuis deux ans.

Il me montre une mezzanine, qu'il a construite pour les accueillir. Il y a là deux lits, des meubles.

Elles ne sont jamais venues.

Quand la troisième mère a porté plainte contre lui, en 2009, elle a alerté les deux autres. Des plaintes ont été portées pour des fessées et deux gifles qu'il avait données à sa plus vieille, entre 2001 et 2007. Il s'est reconnu coupable. On l'a condamné à des travaux communautaires.

«Je le sais que j'ai pas été un père adéquat. Où est-ce que tu penses que j'ai pris ça? Mon père aurait passé sa vie en prison s'il avait fallu que je porte plainte chaque fois qu'il m'a donné une claque ou un coup de pied au cul...

«Ce que je ne comprends pas, c'est que là, la DPJ me dit que je peux m'occuper de ma petite de 3 ans, mais je n'ai pas le droit de voir mes deux autres, sauf si elles le demandent.

«J'espère toujours. Le plus beau cadeau de fête des Pères que je pourrais avoir, ce serait de les revoir.»

Il me montre les photos dans l'entrée en essuyant une larme.

«Les enfants n'ont plus de parents. C'est ça, le problème social le plus grave: l'éclatement des familles. Souvent, les pères sont écartés, ou ils refusent de se battre quand ils voient tout ce qui peut leur arriver, la vengeance, les accusations...

«Mais tu vois, au début, les gens de la DPJ, je les ai haïs. Maintenant, je les bénis. Ils m'ont aidé avec ma fille, ils ont vu la game de mon ex, ils m'ont fait confiance.»

Tout ça, c'est parce qu'il a eu un endroit où poser ses bagages et respirer un peu quand il n'y avait plus aucun espoir. Et où réapprendre à vivre.

«Quand je vois ce que font ces gens-là, je ne peux pas comprendre qu'il n'y ait pas plus de centres pour les pères. Si on veut aider les familles, il faut aider les pères comme les mères.»

yboisvert@lapresse.ca