Ce n'était qu'une rumeur, mais il fut question un jour que Maurice Richard soit nommé sénateur.

Pour les cégépiens que nous étions, c'était évidemment la chose la plus comique qui se pouvait imaginer. On savait bien que l'homme était un héros national qu'il fallait révérer, encore que nous ne l'ayons jamais vu patiner, sinon dans de mauvaises annonces de teinture pour les cheveux.

Mais sénateur...

Alors, quand notre prof de science politique nous avait demandé ce que nous en pensions, à l'unanimité, sa candidature fut ridiculisée dans la classe.

Eh ben moi, je suis pour, avait-il dit. En voilà un, au moins, qui ne va pas au Sénat pour faire du lobby, pour influencer le gouvernement, pour avoir des contrats, pour services rendus au parti.

C'est un point de vue.

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Je suppose qu'on peut appliquer le même raisonnement pour Jacques Demers. Ce n'est pas un collecteur de fonds, un fabricant d'asphalte, ni un chômeur politique.

Mais est-ce suffisant pour en faire une bonne nomination? Je veux dire: est-ce que la piètre estime dans laquelle on tient cette institution fait en sorte que la seule qualité de «maudit bon gars ayant surmonté des difficultés terribles» vous qualifie?

Jacques Demers arrive là comme un trophée de chasse sans même se douter qu'il est l'orignal empaillé de l'endroit.

Oui, mais c'est vraiment un maudit bon gars, me direz-vous. Il a démissionné du Journal de Montréal par solidarité avec les lock-outés. Ça l'honore.

Je sais. Ce n'est pas pour me vanter, mais j'ai un ami qui est un maudit bon gars également. Ça ne le qualifie pas comme entraîneur du Canadien.

Je ne vois pas pourquoi on se gênerait de le constater : rien ne prépare Jacques Demers à être législateur. Je veux dire analyser des projets de loi, en proposer, les discuter, siéger à des commissions parlementaires.

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«C'est mon deuxième plus grand exploit après la conquête de la Coupe Stanley», a dit M. Demers.

Un exploit suppose une action. La conquête d'un championnat est un exploit sportif. Une nomination n'est pas un exploit. C'est un honneur, peut-être, une reconnaissance.

Une institution où l'on étudie les lois du pays, et où on les vote, ne devrait pas être un lieu pour honorer les citoyens méritants. Il y a l'Ordre du Canada et le Temple de la renommée, pour ça.

La prouesse ici est celle de Stephen Harper. Il nomme un personnage populaire qui réussit à occuper tout l'avant-scène médiatique le jour d'une série de nominations, comme l'a expliqué Vincent Marissal hier.

Jacques Demers n'est pas seulement une vedette. C'est le personnage consensuel québécois par excellence. Et parti de rien jusqu'au sommet, c'est-à-dire la Coupe Stanley. Il est au-dessus de tout soupçon, au-delà des querelles politiques, inattaquable, en somme.

Et maintenant, le voici conservateur. Le conservateur le plus sympathique et le plus compatissant au Québec, sans doute.

Quelle aubaine!

«Je ne pense pas qu'il aille au Sénat comme politicien conservateur», disait jeudi un commentateur sportif, en voulant dire: il est au-dessus de ça. Lui-même minimisait l'aspect politique de sa fonction - tout en prenant soin de dire qu'il respecte énormément les politiciens: du Jacques Demers à son meilleur.

Qui dit politique dit controverse et Jacques Demers est un rassembleur, un homme de consensus qui veut être l'ami de tout le monde.

Ah non? Il n'y va pas comme politicien? Il y va en tant que quoi, alors? Auditeur libre?

Il y va pour appuyer de la plus sympathique manière le gouvernement conservateur. Tous ses projets de loi qui niaisent au Sénat à cause des libéraux, qui y sont majoritaires. C'est ça l'idée, les amis. Défaire la majorité libérale au Sénat. Idée d'autant plus brillante qu'il a l'air d'un gars apolitique. Il en a parfaitement le droit, remarquez bien. Mais n'allez pas dire que lui, Jacques Demers, est moins politique parce qu'il n'a pas été organisateur.

Ça envoie le message que même avec une enfance difficile, et en ayant surmonté l'analphabétisme, on peut atteindre une position politique importante?

Pas du tout. Ça envoie le message que le Sénat a un rôle politique si peu sérieux qu'on peut y installer des trophées pour voter avec le gouvernement le moment venu.

Ça envoie le message que le Sénat est une nuisance politique que les conservateurs veulent transformer en insignifiance politique.

Ça envoie le message que le NPD a probablement raison: puisque toute réforme paraît irréalisable, mieux vaudrait l'abolir et transférer ce qu'il fait d'utile à d'autres organismes.

Et pendant ce temps-là, mesdames et messieurs, on ne parle pas des vraies affaires. Non, mais qui jouera sur le deuxième trio du Canadien, hein?