Ça ne s'améliore pas pour Brian Mulroney.

La commission d'enquête sur les transactions douteuses de l'ancien premier ministre n'a pas encore entendu de témoins que déjà la question se pose: devra-t-elle étendre son mandat?

La réponse est que le juge Jeffrey Oliphant, qui commence à siéger en public le 9 février, n'a guère le choix. Avec ce que le Globe and Mail et l'émission Fifth Estate de CBC ont révélé la semaine dernière, il doit interpréter son mandat pour y faire entrer l'affaire Airbus.

 

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En 1988, Air Canada a acheté 34 avions Airbus A320 au coût de 1,8 milliard. Peu de temps après, 20 millions de dollars étaient déposés par la société aéronautique européenne dans un compte de banque au Liechtenstein. Compte contrôlé par l'homme d'affaires germano-canadien Karlheinz Schreiber. Il s'agissait de sommes à distribuer comme commissions à diverses personnes pour du lobbying, notamment. Mais on ignore en fait où est allé l'argent.

Après diverses allégations, une enquête de la GRC a été ouverte en 1995 pour savoir si Brian Mulroney, premier ministre au moment de la transaction, aurait pu toucher une partie de ces commissions. M. Mulroney a poursuivi le gouvernement en 1995 pour atteinte à sa réputation quand il a appris qu'on enquêtait sur lui avec l'aide des autorités suisses.

La veille du procès, en 1997, le gouvernement a présenté des excuses à M. Mulroney et payé ses frais (2,1 millions de dollars). En 2003, la GRC a déclaré que son enquête dans le dossier Airbus était définitivement classée. M. Mulroney était officiellement blanchi.

Sauf que des journalistes de CBC et du Globe ont poursuivi leur enquête pour découvrir, en 2003, que Karlheinz Schreiber avait fait trois versements en comptant à Brian Mulroney après son départ du 24, Sussex, en 1993 et 1994.

Était-ce donc le fameux pot-de-vin dont la GRC cherchait la preuve dans un compte bancaire suisse?

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Tant M. Schreiber que M. Mulroney, au fil des ans, ont nié cette version, qui les incriminerait tous les deux. Cet argent n'avait «rien à voir» avec Airbus.

Au départ, M. Mulroney a fait dire par son ex-porte-parole Luc Lavoie qu'il s'agissait d'honoraires payés à M. Mulroney pour aider M. Schreiber dans une entreprise de pâtes alimentaires. M. Schreiber a dit que c'était pour remercier l'ancien premier ministre, de retour à la vie civile, de ses efforts dans la réunification de l'Allemagne. Puis il a dit que c'était pour faire du lobbying pour l'implantation d'une usine de blindés légers de la société Thyssen au Québec.

Et quand, finalement, M. Mulroney a témoigné l'automne dernier devant le comité de l'éthique de la Chambre des communes, il a raconté une autre histoire. C'était la première fois qu'il en parlait lui-même.

D'abord, a-t-il dit, ce n'étaient pas trois versements de 100 000$, comme le disait pour lui Luc Lavoie, mais trois paiements de 75 000$.

Ensuite, c'était bien pour Thyssen que M. Mulroney travaillait, mais à l'international. Il a dit avoir rencontré des dirigeants étrangers pour implanter le projet, et jusqu'en Chine - une allégation absurde, a dit un porte-parole de Thyssen. Il a nommé deux présidents étrangers - malheureusement morts (Mitterrand et Eltsine). Et il a dit qu'il n'a pas traversé la frontière canado-américaine avec les 75 000$ en espèces reçus dans une chambre d'hôtel de New York. Il les a placés dans un coffret de sûreté, dit-il, et dépensés aux États-Unis au fil des ans. Les sommes reçues au Canada sont allées dans son coffre-fort.

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Cette version de M. Mulroney, venue après d'autres de ses porte-parole, semblait des plus extravagantes. Mais Schreiber, le payeur, est resté vague sur la raison de ces paiements. Et il a dit plusieurs fois que ça n'avait rien à voir avec Airbus. Affaire classée, donc?

Tous les témoins entendus au comité de l'éthique de la Chambre paraissaient s'entendre au moins là-dessus: rien à voir avec Airbus. Aucun rapport!

En fait, personne ne semblait avoir même touché à ce dossier. C'est notamment ce que disait Fred Doucet, un vieil ami et conseiller de Brian Mulroney, en février dernier. «Je n'ai absolument aucune connaissance de quoi que ce soit regardant Airbus», a-t-il dit sous serment. Clair, non?

Trop clair. Voilà que refont surface dans le Globe et à CBC une série de documents en possession de Schreiber qui montrent au contraire que Doucet avait un très vif intérêt pour ces avions. Il insistait, semble-t-il, pour savoir combien exactement avaient été achetés par Air Canada et, apparemment, se disputait avec le lobbyiste Frank Moores (mort en 2005) au sujet du partage de l'argent - lequel?

D'autres témoignages sont remis en question par les documents de Schreiber.

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Ces documents et les nouvelles entrevues de Schreiber ne prouvent pas que Brian Mulroney a été corrompu en marge de l'affaire Airbus. Schreiber ne dit pas cela, d'ailleurs. Il reste mystérieux et on commence à comprendre qu'il se réserve d'autres pétards.

L'homme de 74 ans est sous le coup d'une ordonnance d'extradition en Allemagne, où on veut lui faire un procès pour fraude et évasion fiscale. Et il est loin d'avoir dit «toute la vérité» sous serment. Il reste vague à plusieurs égards et s'est contredit au fil des ans. C'est uniquement parce qu'il est un témoin clé dans la commission Oliphant qu'il reste au Canada.

Mais aussi tardives que soient ces révélations, elles ne laissent pas de choix à la commission. Elle doit interpréter son mandat comme lui permettant d'ouvrir le dossier Airbus, même si le conseiller spécial David Johnston l'avait exclue.

Car le mandat de la commission dit qu'elle doit répondre à 17 questions, dont celles-ci: quelles transactions ont eu lieu entre MM. Schreiber et Mulroney? M. Mulroney a-t-il conclu une entente alors qu'il était premier ministre? Quels paiements ont été effectués, quand, comment et pourquoi? Le mandat ajoute que la commission peut poursuivre «les examens ou les enquêtes additionnels qu'il juge pertinents à l'égard de toute matière, y compris à l'égard de toute entente, transaction, paiement ou déclaration» visés par les 17 questions.

Doucet est celui qui a arrangé la première rencontre Mulroney-Schreiber pour le paiement de 75 000$ ou 100 000$, le 27 août 1993. Coïncidence? Le même jour, Doucet recevait personnellement confirmation de la vente des 34 avions - selon un fax d'Air Canada envoyé à Doucet et fourni par Schreiber.

La commission Oliphant peut donc faire entrer l'affaire Airbus par la petite porte de son mandat actuel. En fait, elle le doit.

Et si cette enquête devient plus longue que prévu pour les bonnes raisons, alors la commission devra demander une prolongation de ses travaux, censés se conclure par le dépôt de son rapport le 12 juin 2009 - ce qui serait extrêmement rapide. Et Ottawa n'aura d'autre choix que de l'accorder.