Les élèves de cinquième secondaire qui subiront aujourd'hui leur examen de français auront droit à une nouvelle épreuve aux exigences réduites. La rédaction d'un texte argumentatif étoffé, obligatoire depuis 22 ans pour tous les élèves de cinquième secondaire, a été remplacée par la composition d'une simple lettre ouverte destinée aux visiteurs d'un site web hébergé par le ministère de l'Éducation.

Quelle mouche a donc piqué le Ministère pour qu'il change la formule de l'examen au moment même où les premiers enfants de la réforme doivent le subir? Avait-on à ce point peur des résultats que l'on a voulu éliminer toute possibilité de comparaison?

 

Suzanne-G. Chartrand, professeure de didactique du français à l'Université Laval interviewée par ma collègue Ariane Lacoursière, y voit «une stratégie politique pour nous empêcher de faire une véritable évaluation de la réforme». Je crains qu'elle ait raison. Car si on avait vraiment voulu comparer (ah! le vilain mot...) les enfants de la réforme à ceux qui les ont précédés, on aurait gardé les anciennes exigences.

La ministre Michelle Courchesne soutient sans nous convaincre que les nouvelles exigences sont comparables aux anciennes. L'examen réformé viserait tout simplement à mieux s'inscrire dans le cadre du «renouveau pédagogique» - la ministre ne prononce jamais le mot «réforme». Il s'agit de rendre l'épreuve plus attrayante pour les jeunes. Mais depuis quand un examen doit-il être attrayant?

«La seule chose qu'on change, c'est qu'au lieu d'écrire une lettre à la ministre, on écrit une lettre ouverte», me dit la ministre. Dans les faits, selon les documents du Ministère, il y a pourtant une différence fondamentale. Avant, les élèves devaient «construire une argumentation selon une stratégie particulièrement efficace».

Même si Mme Courchesne prétend que l'aspect argumentatif reste primordial dans le nouvel examen, le mot «argumentation» n'est plus qu'une note de bas de page dans la grille d'évaluation. On demande simplement aux élèves de «faire valoir une position (thèse) avec cohérence». Or, comme l'a justement observé Suzanne-G. Chartrand, argumenter est beaucoup plus complexe que de donner son opinion.

Quand on sait à quel point le ministère de l'Éducation excelle dans l'art de maquiller la réalité, il y a lieu de s'inquiéter. Moi qui ai déjà été correctrice des examens de français au Ministère, je sais que les correcteurs étaient déjà fortement encouragés à accepter à peu près n'importe quoi comme un argument valable. Il fallait souvent tenter de déchiffrer ce que le «pauvre petit» avait voulu dire. En lisant la nouvelle grille d'analyse, je vois bien que l'on ouvre encore davantage la porte à la médiocrité et à la réussite bidon.

En ces temps où l'opinion-minute est reine et le raisonnement une vieille chose démodée, on a tendance à ne plus faire la distinction entre un argument et une opinion. L'argument est un raisonnement qui permet de prouver ce que l'on avance. L'opinion est avant tout une attitude qui tient pour acquis que ce que l'on dit est vrai. Entre les deux, il y a tout un monde. Malheureusement, même la ministre de l'Éducation confond les deux. «Je ne suis pas une spécialiste comme Mme Chartrand, mais sincèrement je ne vois pas de différence entre exprimer une opinion et avoir un argumentaire, m'a-t-elle dit-elle hier. Quand on exprime une opinion, on a forcément un argument.»

Réponse de Suzanne-G. Chartrand: «Si la ministre ne fait pas de différence, 2500 ans d'histoire de la rhétorique et de l'argumentation en font. Qu'elle lise ou consulte ses collègues; il y a des limites à dire n'importe quoi.»