Quand il a tenté de vendre les secrets les plus confidentiels de la police de Montréal, Ian Davidson n'a pas agi seul. Quelqu'un l'a aidé, notamment pour prendre contact avec un gang de Kurdes sévissant au centre-ville afin qu'il achète la liste des informateurs confidentiels de la police.

Celui qui a aidé Ian Davidson à marchander la base de données contenant le nom de milliers d'informateurs confidentiels était encore plus proche qu'un ami.

C'était son fils, Christian.  

C'est Christian, un travailleur de la construction dans la vingtaine, qui a approché le gang de Kurdes, par courriel. Il a également été enregistré discutant de cela avec son père par les policiers qui étaient à ses trousses, entre avril et octobre 2011.  

C'est ce qui ressort d'informations recoupées par les différents journalistes de La Presse qui, cette semaine, ont travaillé sur cette affaire troublante et fascinante, celle d'un policier sans histoire qui, après 33 ans de carrière, décide de monnayer des données hypersensibles.  

Rien n'indique, selon ce qu'on sait, que le fils ait eu accès au contenu de la base de données. Il aidait son père - qu'il présentait comme son «patron» - à marchander ces informations.  

Et comme lui, Christian Davidson n'a jamais été accusé dans cette affaire.  

Pourquoi?  

Parce que monter le dossier d'accusation a représenté un véritable casse-tête pour les policiers et pour la Couronne après que Davidson eut été interpellé à l'aéroport de Montréal, en octobre. Les règles de divulgation de la preuve sont telles que la Couronne aurait probablement dû remettre à la défense le matériel informatique récupéré, au prix d'efforts dignes d'un thriller, par les policiers affectés à l'enquête.  

Au chapitre strictement matériel, il ne s'agit que d'un vol de moins de 5000$. Il y avait peut-être quelque aspect fascinant au point de vue légal - peut-on faire accuser quelqu'un de méfait ayant pu causer la mort parce que ce qu'il voulait vendre aurait pu sonner le glas pour bien des gens? -, mais ceux qui tentaient de piéger Davidson ne voulaient pas risquer de compromettre la sécurité des informateurs avec un procès.  

Il m'a été impossible de retracer Christian Davidson. Un message laissé à des proches est resté sans réponse.

La Presse a décrit, mercredi, la vaste enquête qui a mené à la récupération des données subtilisées par Ian Davidson, peu avant sa retraite de la division du renseignement criminel, en janvier 2011.  

Il y a, dans cette enquête, du grand art: les agents qui y ont été affectés savaient que des vies dépendaient du fruit de leurs efforts. Ils ont travaillé à l'avenant, avec un souffle admirable.  

Oui, le «système» a gaffé: ce genre de base de données ne devrait jamais se retrouver à vendre au plus offrant. Mais ceux qui ont traqué Davidson et son matériel informatique ont présenté, dans l'ombre, le côté le plus réjouissant d'une police pugnace et flexible.  

Après l'arrestation d'Ian Davidson - et son élargissement, sans accusations -, les policiers du SPVM ont toujours espéré que le «traître» se mettrait à table, accablé par les remords et par la pression à laquelle il devait désormais faire face.  

Ça aurait facilité le travail des flics. Ça aurait permis de savoir ce que Davidson avait fait, entre janvier (date de sa retraite) et le printemps 2011 (quand le SPVM a eu vent d'un mystérieux «vendeur». Ça aurait permis de savoir, par exemple, s'il n'existe pas quelque part de copies de la précieuse liste des informateurs secrets.

En l'avertissant, cet automne, que des éléments criminels pourraient tenter de l'éliminer, et en l'avertissant, mardi soir, que La Presse s'apprêtait à révéler son nom, les policiers du SPVM suivaient les procédures internes.  

Mais il est permis de penser qu'ils ne répugnaient pas à mettre sur le traître une autre couche de pression, pour le convaincre de parler.  

Ça n'a pas fonctionné. Quand Davidson a flanché, après une ultime nuit caché dans un hôtel de Laval, c'est un couteau que sa main a trouvé. Pas le numéro de téléphone des enquêteurs qui le traquaient.  

Quand la police gaffe, c'est au public qu'elle doit normalement des explications. Ici, le plus grand corps de police du Québec, aux avant-postes de la lutte au crime organisé québécois, doit certainement des explications.  

Tout le monde comprendra qu'une partie du bilan de l'affaire Davidson restera confidentielle, vu la nature des informations qu'elle contient. Comme tout le monde comprend qu'un salopard peut vendre son âme en trahissant son camp. De Judas à Kim Philby, l'Histoire est remplie de Ian Davidson.  

Mais le SPVM doit expliquer, clairement et publiquement, un certain nombre de choses, qui tournent toutes autour d'une question...

En quoi, désormais, les secrets du SPVM seront-ils mieux protégés, au chapitre de l'imperméabilité des variables humaine et informatique?

Quand la police gaffe, c'est au public qu'elle doit normalement des explications. Dans cette affaire, c'est aux gens qui décident de collaborer avec elle, souvent au péril de leur vie.