L'atmosphère au campement des indignés de Montréal, lundi soir? À mi-chemin entre un congrès des cégépiens altermondialistes et une réunion des hippies de Woodstock 1969. Fleur bleue? Pas qu'un peu.

Des slogans un peu simplistes, de l'utopie à revendre, des demandes un peu incohérentes et le masque du héros du film V for Vendetta en prime, un peu partout...

Ils vont lire ça, les indignés du square Victoria, et ils vont se dire que je ris d'eux. Ils vont se dire qu'on sait bien, Lagacé travaille pour un grand journal, qui lui-même «doit» défendre le Grand Capital, tout ça...

Pas du tout, les amis. Je suis de votre bord.

Dans le grand ordre des choses, les indignés ont raison. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, dans l'économie, qui ne fonctionne pas pour la moyenne des ours, je veux dire...

On peut toujours dire qu'aux États-Unis, c'est pire qu'ici au chapitre des inégalités entre riches et pauvres et de la destruction - car il s'agit là-bas d'une destruction - de la classe moyenne. Mais le Canada n'est pas en reste. Nous sommes sur une pente savonneuse.

En 30 ans, la classe moyenne canadienne a vu ses revenus stagner. Il n'y a pas eu de gain réel du pouvoir d'achat. Notre classe moyenne subit, note Simon Tremblay-Pepin, chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques, une «érosion».

Les entreprises, ici et ailleurs, n'ont plus d'incitation à investir dans l'économie réelle, dit Tremblay-Pepin. Depuis 10 ans, Ottawa a consenti des baisses d'impôts aux entreprises dans l'espoir que, conformément au modèle keynésien, elles investissent dans l'équipement et l'embauche de travailleurs.

Or, ça ne s'est pas concrétisé: «Les entreprises investissent l'argent qu'elles empilent et jouent ces devises sur les marchés. Parce que l'économie financière est plus payante que l'économie réelle.»

Qu'il y ait des insatisfaits est parfaitement normal, dans le contexte actuel. Les indignés sont peut-être maladroits dans leur façon de nommer le mal et de proposer des solutions, mais une chose est sûre: en cette ère de jobless recovery, ce n'est pas vrai que les choses vont bien...

Aux États-Unis, pour ajouter au malaise, Corporate America peut compter sur des législateurs qui ne font rien pour l'emmerder. Un exemple, parmi mille, celui de General Electric.

GE est la plus grande société américaine. Chiffre d'affaires: 19 milliards, dont 5 aux États-Unis. Combien G.E. paie-t-elle d'impôts, là-dessus, au fisc américain?

Zéro.

Vous avez bien lu!

Comme par magie, les profits américains de GE ont le flair exceptionnel de se matérialiser non pas dans ses divisions américaines, mais dans des divisions situées dans des pays où le fisc est inexistant...

Il y a de quoi se sentir floué quand on vit dans un système où des sociétés milliardaires ne paient pas leur part, non? L'indignation de milliers d'Américains, c'est aussi celle qui est ancrée dans cette certitude: le politique travaille pour le financier, pas pour le peuple. We, the financiers...

«Quand une banque qui a été sauvée par l'argent des contribuables reprend votre maison, et qu'elle trouve que l'économie va bien, c'est parfaitement normal d'être fâché!», dit Simon Tremblay-Pepin.

Un dernier truc, en terminant. Le président des États-Unis, démocrate ou républicain, chapeaute un «Comité présidentiel sur les emplois et la compétitivité».

Qui dirige ce comité censé donner des conseils non partisans à la Maison-Blanche sur les meilleures façons de créer des jobs aux États-Unis?

Jeffrey Immelt.

Qui est Jeffrey Immelt?

Le PDG de General Electric, une firme qui trouve le moyen de ne jamais payer d'impôts aux États-Unis.

Combien de jobs a éliminé GE, aux États-Unis, en 2009?

Dix-neuf mille.

C'est le genre de truc qui devrait susciter l'indignation. Dans le rayon de l'incohérence, les indignés ne sont pas seuls.