Le Dr Fernand Turcotte est une sorte de mouton noir de la santé publique. Pour lui, nombre d'interventions - des pontages aux radiographies pulmonaires en passant par le dépistage par PSA du cancer de la prostate - sont le résultat de modes médicales. En plus d'être inefficaces.

«Prenez ma prostate: personne n'y touchera, même avec une perche de 40 pieds!» m'a dit l'été dernier ce spécialiste de la santé publique, médecin retraité de l'Université Laval.

Son raisonnement: les opérations qui traitent le cancer de la prostate rendent nombre d'hommes incontinents et impuissants. Or, la maladie est bien souvent très lente, si lente que les malades meurent avec le cancer de la prostate. Pas DU cancer de la prostate. Selon lui, la combinaison prostate-bistouri est bien souvent inutile.

L'entrevue avec le Dr Turcotte fut un moment de lucidité extrême pour un type un peu hypocondriaque (moi) en pleine pêche au crabe (la préparation de cette série). La voix d'un dissident, certes. Qui exprime des bémols dans un domaine, la médecine, qui est aussi un business.

«Le dépistage est une belle manifestation du phénomène de la médicalisation. C'est un rituel de passage. Et des capitaines d'industrie s'en sont fait des planches à billets, comme pour les tests PSA de dépistage du cancer de la prostate.»

Et la coloscopie? Le Dr Turcotte n'en a pas une très haute opinion. Difficile de voir et d'éradiquer tous les polypes, m'a-t-il dit.

Sans doute a-t-il raison d'un point de vue rationnel. Mais, désolé, Dr Turcotte, ce n'est pas mon côté rationnel qui m'a fait aboutir dans une clinique privée pour m'y faire ausculter le côlon...

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La seule certitude, en matière de cancer, c'est qu'il n'y a pas de certitude. Le dépistage du cancer - du sein, du côlon, de la prostate, etc. - n'est pas efficace à 100%. Son efficacité est même parfois contestée ou nuancée par des études nouvelles. Ce fut le cas récemment des mammographies, par exemple.

C'est la même chose pour ce qui cause le cancer. Ou pour ce qui «aide» à ne pas l'avoir. Une année, on nous dit que le vin rouge aide l'organisme à combattre le crabe. L'année suivante, non, l'alcool est très nocif, il faut s'en tenir loin...

Ce qu'on sait, c'est que les taux de survie, globalement, s'améliorent, grâce aux percées de la recherche et, croit-on, aux programmes de dépistage précoce de certaines tumeurs.

L'espoir? Les percées scientifiques restent souvent époustouflantes. Au Centre du cancer Segal de l'Hôpital juif, un chirurgien m'a présenté une vidéo hallucinante, celle d'un robot qu'il manipule pour opérer des tumeurs enfouies au plus profond de l'appareil reproducteur des femmes.

«Regardez bien, le punch s'en vient», m'a dit le Dr Walter Gotlieb, après qu'on eut admiré en gros plan les pinces du robot qui attaquaient une tumeur.

Le robot, qui s'appelle Da Vinci, a alors fait un origami avec un morceau de papier, pendant quelques secondes. Je me demandais où voulait en venir le Dr Gotlieb. Puis, le punch: l'origami avait la taille d'une pièce de 10 cents.

«Avec cette machine, on limite l'invasion du corps de la patiente, donc le choc, donc les jours d'hospitalisation.»

J'ai vu, au Jewish, un de ces miracles médicaux de la pêche au crabe. Un miracle coûteux: le Da Vinci coûte 1,5 million de dollars. Ce sont les donateurs de ce petit hôpital qui l'ont payé.

«On récupère aussi une partie des coûts, dit le Dr Gotlieb, avec les économies en frais d'hospitalisation grâce à ce robot.»

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Mais pour toutes les percées de la science, le cancer reste un fléau dévastateur. Les taux d'incidence ne baissent pas. Il s'agit désormais de la première cause de mortalité au pays. Bien sûr, en grande partie parce que la population vieillit.

Le cancer est un fléau si dévastateur qu'on finit par le prendre pour un ennemi impossible à combattre. Pourtant, dans les sociétés où la lutte contre le cancer est une priorité, on voit des résultats encourageants. Comme en Colombie-Britannique.

Au Québec, la désorganisation est totale. Les forces en présence ont besoin d'un général. Il n'y en a pas, car la volonté politique fait défaut. Exemple lumineux, que j'ai abordé samedi dernier: l'État impose aux hôpitaux des délais maximums pour opérer votre genou. Il n'y en a pas pour le cancer. Des malades attendent donc deux, trois, quatre mois.

Et nous acceptons cela. C'est un scandale. Il n'y a pas d'autre mot.

La peur du cancer est peut-être, comme me l'a dit le Dr Turcotte, «une construction sociale». Mais ses ravages sont immenses et les défis seront à l'avenant dans les années à venir. Ces increvables boomers arrivent à l'âge d'or. Je ne suis pas sûr que notre système soit prêt pour la déferlante.

Le sujet est sombre au possible. Parler du cancer, c'est parler de la mort. De sa propre mort. Plusieurs lecteurs m'ont dit avoir eu de la difficulté à lire certains passages. Merci de l'avoir fait, malgré l'écho de vos propres tragédies personnelles.

Pour conclure cette série, je cède la parole au Dr Philippe Sauthier, chirurgien-oncologue au CHUM, qui traite des cancers gynécologiques à longueur de journée. Il a eu les paroles les plus sages, les plus ensoleillées qu'il m'ait été donné de noter dans le cadre de ces entrevues.

«Combien de fois ai-je entendu, après avoir annoncé une mauvaise nouvelle à une patiente: «Mais je voulais faire tel voyage, tel projet...» Donc, si vous voulez faire quelque chose, faites-le. Maintenant. On ne sait jamais ce qui arrivera demain. S'il y a un truc que j'ai appris en faisant ce métier, c'est ceci: la notion d'urgence de la vie.»

Bref, il y a le cancer, il y a la mort. Mais il y a aussi la vie. Maintenant.

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