Elle m'a vu, assis sur une roche, et elle m'a fait signe: venez vous asseoir à côté de moi. Voilà, c'est ça, partageons ma couverture, c'est mieux comme ça. Marthe-Magali Joseph écoutait, comme 100 autres personnes, cette cérémonie où il était fiévreusement question de Jésus, de Dieu, de Dieu qui aime, du tremblement de terre.

«D'où venez-vous, Marthe?

-De Canapé-Vert.

-De Canapé-Vert? À Port-au-Prince? Et vous êtes venue ici pour...

-Mais pour assister à cette cérémonie!»

C'était hier midi, quelque part sur la Route 102, qui relie Port-au-Prince à la République dominicaine. Juste avant que le pick-up Isuzu de Johnny, mon guide, ne subisse une panne-caoutchouc*, j'avais vu cette foule réunie sur un terrain vague.

J'ai donc remonté à pied la route 102 pour arriver à ce terrain vague, où je me suis échoué sur la couverture de Marthe. Nous étions à deux bonnes heures de Port-au-Prince. Marthe était venue en tap-tap exprès pour assister à cette célébration baptiste.

Sous un chapiteau, la femme au micro s'animait, passionnée. Une poule a passé devant moi, suivie d'un poussin, pendant qu'autour de nous les gens opinaient du bonnet.

«Cette dame raconte comment Dieu l'a sauvée, m'a informé Marthe, comment Dieu l'a sauvée pendant le tremblement de terre.»

Vous ne trouverez pas, en Haïti, beaucoup de gens pour maudire Dieu pour l'»événement» du 12 janvier. Au contraire. Ceux qui ont survécu disent que Dieu, dans sa grande miséricorde, les a épargnés. Et vous trouverez, assez facilement, des Haïtiens qui chuchotent que ceux qui ont péri, bon, enfin, peut-être ne croyaient-ils pas suffisamment...***

Haïti est un pays chrétien. Tenez-vous-le pour dit. Haïti croit avec une ferveur qui ferait passer George W. Bush pour agnostique.

Une foi vibrante, qui chante, qui tremble, qui dégouline partout, absolument partout dans ce pays.

Sur la benne d'un camion: CHRIST VIVANT.

Au-dessus de la porte d'un petit dépanneur: TOUT À JÉSUS.

Au-dessus du pare-brise d'un tap-tap: LA MAIN DE L'ÉTERNEL.

Le nom d'un commerce de réparation de housses: Grâce de Dieu Shop.

Une quincaillerie: L'Homme, pas Dieu.

Un magasin de ciment: Jésus Dépôt.

***

C'est un pays déstabilisant pour un athée. Les hôpitaux, les écoles, les orphelinats: à peu près tous gérés par des missions chrétiennes. La main de Jésus, si je puis dire, est partout. Celle de l'État n'étant nulle part, disons que les deux mains de Jésus sont omniprésentes, en Haïti.

En Haïti, sachez-le, Jésus a une main noire et une main blanche. La noire est celle des chrétiens du pays ; la blanche, celle des chrétiens américains, omniprésents, qui donnent généreusement de leur personne et de leurs dollars.

Johnny a fini par réparer sa crevaison, nous avons fini par arriver à l'Église chrétienne des Rachetés, à Fond-Parisien, un petit village où j'avais rendez-vous avec le Dr Maxime Sénatus, 39 ans. C'est le pasteur Étienne Prophète (!), chef de la mission, qui a payé les études de médecine du Dr Maxime, comme on l'appelle sur le campus, qui compte une clinique, une école, un centre communautaire.

«J'ai décidé, après avoir eu mon diplôme, que je resterais ici, pour servir.»

Le Dr Sénatus est médecin et chrétien. Je ne sais pas dans quel ordre.

«Vous savez, m'a-t-il dit dans son minuscule bureau, sans ces missions chrétiennes, le peuple haïtien aurait beaucoup de difficulté à avoir des soins. Et à s'instruire.

-L'État haïtien... ai-je commencé.

-L'État haïtien ne s'occupe pas trop bien des affaires de la santé. Donc, les missions sont obligées d'entrer en jeu.»

Maxime Sénatus, médecin haïtien, j'allais dire rare médecin haïtien, ne s'en cache pas: son travail à l'Hôpital communautaire Christ pour tous est «une façon de parler de l'Évangile». Jésus, dit-il, soignait l'âme des gens, mais aussi leur corps.

***

Il n'y a pas d'écoles publiques gratuites en Haïti. Jésus enseigne. Il n'y a pour ainsi dire pas de soins médicaux gratuits, ici. Alors Jésus soigne. Et il s'occupe des orphelins.

C'est un athée qui s'en confesse, un athée qui n'a rien contre Jésus tant que ses amis prêchent Sa bonne parole en privé: sans ces chrétiens, sans ces missionnaires, la situation serait pire, bien pire, en Haïti. La santé et l'éducation servies avec une tranche d'Évangile?

C'est mieux que pas de santé, pas d'éducation du tout, faut croire.

***

L'hôpital fourmillait. Des patients, des gens venus de Port-au-Prince, des médecins américains. Pas de cohue. Pas de cris. De l'ordre. L'ironie, bien sûr, c'est que la vingtaine de médecins et d'infirmières débarqués ici pour cause de désastre soignent en majorité des gens qui n'ont pas été blessés dans le séisme.

Charles Woodridge tentait d'expliquer à une dame qu'il fallait nourrir son bébé neuf. Au plus vite. Et revenir samedi, maximum, pour qu'on lui enlève le reste de son cordon ombilical. J'ai traduit les instructions de l'Américain, pédiatre de l'Oklahoma, pour la maman. Le Dr Woodridge, vêtu d'un t-shirt de bénévole du désastre post-Katrina, est venu à Haïti dès qu'il a pu.

«Mon hôpital, le Choctaw Nation Indian Medical, m'a dit: Go. Alors je suis venu. Il fallait que je vienne.

-Pourquoi vouliez-vous venir, docteur?

-Dieu nous a tous donné des talents. Il faut les utiliser.»

*Leçon de créole du jour: panne-caoutchouc, c'est une crevaison.