Quand j'entends toutes ces histoires de viaducs payés trop cher, d'appels d'offres arrangés et de dents cassées qui sortent de l'industrie de la construction, c'est drôle, ça me fait surtout penser à mon X.

Oui, mon X, mon vote.

À chaque campagne électorale, on a droit à une campagne de sensibilisation qui nous explique à quel point il est important de voter. Tiens, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) a accouché d'une super campagne pour les municipales du 1er novembre.

La première pub, destinée au web, sous forme de bulletin d'informations d'un vrai-faux Jean-Luc Mongrain, évoquait un Québec qui ne serait pas allé voter. Routes brisées, déchets pas ramassés, système cassé: le chaos.

C'est de la bullshit, évidemment.

Qu'on aille voter ou pas, il y aura toujours quelque part une Sylvie Saint-Jean, mairesse de Boisbriand, pour être la marionnette de quelque applicateur d'asphalte local. Il y aura toujours un Frank Zampino pour aller se faire bronzer en Speedo sur le yacht d'un autre applicateur d'asphalte, pan-provincial celui-là, j'ai nommé M. Tony Accurso.

Et autour de ces élus, il y aura toujours d'autres élus, de bonnes pâtes incorruptibles, bien sûr, pour dire qu'ils n'ont rien - RIEN - vu passer, qu'ils appellent les flics, que l'appel d'offres semblait nickel, que tout cela est consternant. Et je les crois.

Mais là où je veux en venir, par ce long détour impeccablement asphalté, c'est que le citoyen est peut-être réticent à aller voter justement parce qu'il savait bien avant les topos d'Enquête, bien avant les papiers de La Presse et du Devoir, que le système est pourri jusqu'à la moelle.

L'électeur sait bien qu'avec ou sans lui, l'usine de traitement d'eau ne coûtera pas 17 millions mais bien le double. Il sait bien qu'avec ou sans lui, un tas de fonctionnaires et d'élus municipaux vont quand même aller travailler, en quittant l'hôtel de ville, chez les grosses firmes qui gagnent ces gros contrats de l'hôtel de ville.

L'électeur sait bien qu'avec ou sans son X, rien, absolument rien ne change vraiment.

L'été dernier, Télé-Québec a repassé un chef-d'oeuvre de Denys Arcand, le film Réjeanne Padovani. C'est l'histoire d'une sauterie entre la mafia, les politiciens et quelques putes, lors d'une soirée qui célèbre un gros contrat d'asphalte. Arcand a lancé son film en 1973. L'électeur sait bien qu'il pourrait avoir pris l'affiche hier soir.

J'ai appelé le DGEQ, un peu pour emmerder Denis Dion, son porte-parole. Je lui ai demandé si ces fabuleuses et bucoliques campagnes qui nous incitent à aller voter ne sont pas pleines de nids-de-poule, sachant toute la merde qui commence à remonter à la surface du party banditisme-construction-municipalités, ces jours-ci...

«Savez-vous ce qu'il y a de beau, en démocratie? m'a répondu M. Dion, un porte-parole hors norme, qui n'a pas la langue de bois. C'est qu'aux quatre ans, en démocratie, je peux aller voter. Et je peux changer les choses. Il y a, dans ce vote, une sanction.»

Mais vraiment, que j'aille voter ou non, est-ce que les contrats de grands travaux vont cesser de coûter 43% de plus que la moyenne canadienne, au Québec?

Les gens de Boisbriand sont allés voter, en 2006. Ils ont choisi une femme aux principes élastiques qui a laissé l'entrepreneur le plus choyé par les appels d'offres de sa municipalité tenter de convaincre des élus de ne pas se présenter aux élections.

Vous me direz que c'est une nounoune. C'est vrai. Mais l'intégrité des élus, c'est désormais comme l'intégrité des appels d'offres, pour moi: je me permets de douter. Surtout dans les villes.

Ce qui nous amène, par le détour d'une route à l'asphalte troué, à Québec, à l'Assemblée nationale. Parlons de voter, d'abord, de mon X, encore.

Après six ans et demi de règne libéral, quelqu'un peut-il me dire LA différence fondamentale entre le PLQ et le PQ?

Je sais, je sais. Le PQ veut un pays. Le PLQ aime bien le Canada. Je parle du reste, je parle de philosophie de gouvernance, de mécanique, de politiques.

Je rêve peut-être, mais à quelques détails près, péquistes ou libéraux, c'est la même chose. Le système de santé chambranle encore; son budget augmente, sous les bleus ou sous les rouges. Le CHUM est un désastre non partisan. La dette publique continue à gonfler, et gonfler, et gonfler. Péquistes ou libéraux, nos enfants écrivent toujours aussi mal. Nos universités sont aussi mal financées. Et les routes, même si elles coûtent plus cher à construire qu'ailleurs, sont tout aussi pleines de trous, qu'importe le régime.

Comme on dit à Toronto: «Same difference.»

Et si on allait voter en plus grand nombre, vous me dites qu'on n'élirait plus de simples intendants, de sympathiques exécutants subordonnés à la machine?

Si vous croyez ça, vous vivez dans le même univers que les bonnes pâtes qui ont écrit, hier, le communiqué de presse de la mairesse de Boisbriand, expliquant son point de vue dans l'affaire Zambito...

Toujours du côté de Québec, parlons maintenant de cette enquête publique sur le secteur de la construction, que le ministre de la Sécurité publique ne juge toujours pas nécessaire.

Savez-vous, M. Dupuis, ce que les gens me disent sur le PQ et le PLQ, quand ils m'écrivent, au sujet de ces scandales municipaux?

Ils disent que les élus du PQ et du PLQ ne souhaitent pas une enquête publique parce qu'une enquête publique, n'ayant pas les mêmes contraintes qu'une enquête policière, risque de lever bien plus de lapins.

Et que certains de ces lapins, on va les trouver dans la cour des élus, bleus ou rouges.

Et que ça explique pourquoi le PQ fait le strict minimum pour harceler les libéraux sur ce dossier.

Et que ça explique la réticence des libéraux à mettre sur pied une enquête publique.

Je ne vous dis pas, M. Dupuis, que c'est le cas. Je vous dis que c'est ce que les gens pensent. J'ai pensé vous en faire part, au cas où la bulle capitonnée qu'est la politique vous isolait, ces jours-ci, du bruit de la rue.