Depuis que je suis devenu correspondant de La Presse en Alberta (he-hem), je suis inondé de courriels inquiets. J'aimerais vous dire que ces courriels réclament mon retour immédiat à Montréal, mais ce n'est pas le cas. On s'inquiète plutôt de la séparation de l'Ouest.

Car, si vous l'ignoriez, il existe bel et bien un fond «séparatissse» dans l'Ouest canadien. Et avec cette coalition qui menace de faire tomber un gouvernement conservateur largement soutenu par l'Ouest, ça grogne.

 

On me demande, donc: «L'Ouest va-t-il demander son indépendance?»

Eh bien! J'ai fait ma petite enquête et je suis heureux de vous dire que vous pouvez ranger vos cartes de crédit. Pas besoin d'acheter des billets d'avion pour venir dire aux Albertains WE LOVE YOU, au centre-ville de Calgary, comme certains Canadiens l'ont fait à Montréal un jour d'octobre 1995.

Roger Gibbins, président du Canada West Foundation, un groupe de réflexion de Calgary, est catégorique: «Depuis 30 ans, l'appui à l'idée de séparer l'Ouest du Canada n'a jamais dépassé les 4 ou 5%. Ce qui est à peu près le pourcentage de gens qui affirment qu'Elvis est encore vivant.»

Je souligne ici, pour les besoins de la clarté contextuelle, que M. Gibbins parlait, bien sûr, d'Elvis Presley, le chanteur. Pas d'Elvis Gratton, fédéraliste québécois.

Personnellement, je crois que les gens de l'Ouest ne veulent pas se séparer pour des raisons pragmatiques: ils sont trop heureux de pouvoir venir faire la fête à Montréal, où les bars d'effeuilleuses sont plus olé-olé, sans avoir à sortir de passeport, je crois.

Ils ne veulent pas se séparer, donc. Mais ils se sentent aliénés politiquement. On appelle ça la Western alienation depuis des siècles.

«L'aliénation de l'Ouest est la base de ce sentiment séparatiste, me dit Tamara Palmer Seiler, prof d'études canadiennes à l'Université de Calgary. On parlait davantage de séparation dans les années 80, après le Programme national énergétique imposé par Trudeau. Mais, politiquement, ça demeure très, très marginal.»

Marginal? Le mot est peut-être encore trop généreux pour décrire l'appui réel que récolte le Western Block Party, le plus connu de ces partis, qui n'a présenté qu'une candidate en octobre dernier. Son score (dans une circonscription de Colombie-Britannique): 195 voix.

«L'Ouest n'a jamais voulu sortir du Canada. L'idée n'a pas de sens: le sentiment canadien est tellement fort», résume Roger Gibbins.

Fort? Il faut sortir un peu du Québec pour comprendre à quel point le sentiment canadien est absent, chez nous. (Chaque fois que j'écris un truc comme ça, des lecteurs m'écrivent pour me dire: «Vous vous trompez, monsieur, je suis très canadien, moi!») Je parle plutôt d'un sentiment collectif. D'une canadianité, si je puis dire, très visible. Je parle d'un attachement ostentatoire. Je parle de drapeaux canadiens immenses qui flottent au vent, dans les parkings de stations-service ou de centres commerciaux.

Dans l'Ouest, l'aliénation s'est historiquement traduite par un désir de faire souffler un vent d'ouest sur Ottawa. Quand le Reform Party a été fondé, Preston Manning a bien symbolisé l'état d'esprit de ses troupes: «The West wants in.» L'Ouest veut jouer. Et non pas The West veut sacrer son camp.

L'aliénation de l'Ouest, note la professeure Palmer Seiler, n'est pas un phénomène canadien. «L'Ouest américain aussi s'est longtemps senti laissé pour compte par Washington. Ça vient, je crois, avec le fait d'être une terre nouvelle.»

Robert Gibbins, comme bien des gens de l'Ouest, a accueilli la prorogation du Parlement avec satisfaction. Il voit la manoeuvre coalisée comme «une tentative de changer les règles du jeu politique», au détriment de l'Ouest.

«Mais si la coalition devait réussir à prendre le pouvoir, les quatre provinces de l'Ouest pourraient adopter une stratégie inspirée du Bloc québécois. Personnellement, j'en serais peiné. Mais des gens pourraient se dire que, si le Bloc a du succès avec une stratégie «Québec d'abord», une stratégie «l'Ouest d'abord» pourrait aussi fonctionner, puisque c'est ce que la politique commande.»

Y a-t-il une réaction anti-Québec dans l'Ouest, à cause de cet appui du Bloc à une coalition honnie dans ce coin du pays? Hier, à la radio de Radio-Canada, l'Association canadienne-française de l'Alberta assurait ne pas avoir encore eu connaissance d'un ressac contre les francophones.

«Depuis 10, 12 ans, le Québec était à peu près disparu du radar politique, dans l'Ouest, selon Roger Gibbins. Il y avait de l'indifférence, pas de l'hostilité. Quand Harper a fait des gestes pro-Québec, comme la reconnaissance de la nation, personne ici n'a rechigné. Là, avec l'appui du Bloc à la coalition, oui, il y a une réaction. Mais elle est contre le Bloc québécois, pas contre les Québécois.»