Cet été, dans un moment de pure imbécillité, j'ai envoyé mon numéro de téléphone personnel à tous mes abonnés Twitter. Je pensais que j'envoyais un message direct à un camarade. Le message n'était pas seulement direct, il était collectif. Oups! Alertée par des âmes charitables qui ont tout de suite compris que j'avais fait la mauvaise commande, j'ai réussi à effacer le numéro et à me sortir de cette affaire sans trop de dommages collatéraux.

Cette histoire m'a néanmoins faire comprendre de manière très claire qu'au royaume des réseaux sociaux, la prudence est de mise, car un accident peut arriver à tout moment. Le mien était un accident bête où personne n'a été blessé, sauf mon orgueil. L'accident de Pierre Sormany, le patron de l'émission Enquêtes à Radio-Canada, est pas mal plus grave et ses conséquences, dramatiques pour le principal intéressé.

Il s'agit pourtant au départ d'un accident banal. Il y a deux semaines, après la diffusion du Tout le monde en parle avec Jacques Duchesneau, vers 23h, dans l'intimité de son foyer et probablement en robe de chambre, Sormany est allé sur son fil d'actualité Facebook. Il y avait un message de la journaliste de La Presse Canadienne Lise Millette, qui se demandait qui était le journaliste sans nom que Duchesneau avait accusé d'intimidation à TLMEP. Sormany s'est empressé de nommer Jean Lapierre et d'ajouter qu'en plus de donner son opinion à TVA, à LCN et le matin chez Paul Arcand, Lapierre offrait ses services de conseiller à son bon «ami» l'entrepreneur Antonio Accurso. Sormany croyait répondre directement à sa collègue. Manque de chance, il a oublié de cliquer sur le bon onglet et a envoyé le message sur la place publique, à ses 369 amis.

Autant dire que cela n'a pas pris de temps pour qu'un ami parmi ces amis relaie le message à l'ami Jean Lapierre qui, aujourd'hui, poursuit Sormany pour 250 000 dollars. Depuis, Sormany a été suspendu par Radio-Canada et, selon toute probabilité, il va non seulement perdre son poste, mais il devra aussi faire face à Lapierre devant les tribunaux, seul et à ses frais.

La terrible ironie de cette affaire, c'est que Pierre Sormany était la personne la moins susceptible de la sphère de tomber dans un tel piège. L'homme est une sommité du monde de l'information. Il enseigne le journalisme depuis une trentaine d'années à l'Université de Montréal et tous ses ex-étudiants ne tarissent pas d'éloges à son sujet. Il a publié, en 1990, un livre sur le métier de journaliste qui vient d'être réédité pour la troisième fois. Il est aux commandes de l'émission d'enquête de l'heure et dirige une équipe hyperperformante qui, sous son impulsion, a ébranlé le monde de la construction et fait trembler les pouvoirs publics. Comme si cela ne suffisait pas, Sormany est un champion des nouveaux médias, dont il ne cesse d'analyser les mérites comme les écueils.

Comment expliquer une telle gaffe de la part d'un homme qui n'ignorait pas les règles du jeu? La distraction? La fatigue? Une mauvaise coordination mécanique? Sans doute un peu des trois. Reste qu'à mes yeux, la vraie source de cette bourde est ailleurs. Dans le faux sentiment d'intimité et de sécurité de réseaux comme Facebook ou Twitter. Ces réseaux sont tellement rapides, faciles et conviviaux qu'on finit par s'y sentir aussi à l'aise qu'à un souper entre amis où l'on dit des énormités, convaincu qu'elles ne sortiront pas de ce qui passe pour un circuit fermé et privé. Mais il n'y a rien de fermé ni de privé dans Facebook ou Twitter. Quand on y va, on s'expose au grand jour, au vu et au su de tous. On s'y retrouve tout nu sur la place publique, au milieu de la foule, dans la mire d'amis comme de purs inconnus.

Je suis toujours sidérée de constater à quel point les réseaux sociaux ont effacé les frontières entre le privé et le public sans que leurs abonnés s'en inquiètent, rassurés qu'ils sont par des mécanismes de similiprotection qui finissent toujours par les trahir.

Je suis peut-être paranoïaque, mais c'est précisément parce que j'ai une conscience aiguë de sa dimension publique que je ne suis pas sur Facebook. Et si un jour j'y allais, jamais je n'afficherais des photos de mon week-end au chalet ni de mon chum et de moi en maillot en bain.

Pierre Sormany, lui, l'a fait, sans trop se poser de questions et sans voir que, sur la place publique, il est peut-être un frère, un ami et un conjoint, mais qu'il est surtout le directeur des émissions d'affaires publiques à Radio-Canada. Or, à ce titre-là, avec le nombre d'enquêtes importantes qu'il a pilotées et le nombre de gens que ses équipes ont démasqués et qui doivent lui en vouloir à mort, aller sur Facebook était risqué et exigeait la plus grande prudence. Il vient de l'apprendre à ses dépens et aux dépens d'une émission qui va perdre un de ses meilleurs patrons. Ce sont les amis de ses «amis» qui doivent être contents...

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