Tant qu'à voter pour un gros cave, votez pour l'original! Ces sages propos clignotaient en grosses lettres dans le dépliant distribué, hier, au lancement de la campagne électorale de Jean-François Mercier dans Chambly-Borduas. Le candidat indépendant du PLG (Parti pour la gloire) dont le cri de ralliement est «Là c't'assez, tabarnak!» avait donné rendez-vous aux médias au Bedondaine et Bedons ronds, une fabuleuse brasserie en forme de musée, tapissée de plateaux vintage et d'au moins 5000 bouteilles de bière, certaines datant de la préhistoire. La bière, comme de raison, était gratuite, tout comme l'enveloppe brune glissée dans chaque dossier de presse et frappée de l'inscription: «Je soutiens Jean-François Mercier». Et plus bas, en plus petits caractères: «pour les travaux de rénovation de sa cuisine».

À 14 h pile, le candidat ressemblant vaguement à un mafioso avec son complet sombre rayé, sa chemise et sa cravate noires, s'est amené au micro. Il était accompagné de son attaché politique, Mike Ward, et de son unique garde du corps, un dénommé Guy Nantel, caché derrière ses lunettes fumées et l'oreille vissée à un écouteur imaginaire. Un papa du coin s'est immédiatement précipité sur le candidat pour lui tendre son rejeton, une petite fille qui n'a cessé de jeter des regards hostiles aux photographes qui immortalisaient le moment. Après quoi, Jean-François Mercier a livré aux médias son premier message politique.

Il y a eu bien sûr un peu d'esbroufe, notamment au sujet de la langue de bois que le candidat du Parti pour la gloire déplore «parce qu'elle est rarement faite de bois franc, mais surtout parce qu'elle fait des échardes durant une fellation». Mais dans l'ensemble, le propos de Mercier est assez sérieux. L'humoriste, un souverainiste convaincu et un résidant de Chambly, a avoué qu'il n'avait jamais de sa vie voté au fédéral, faute d'un candidat convenable à ses yeux. Or, s'il se présente cette année, ce n'est pas pour se faire élire à son tour. Tout le contraire. Il est convaincu qu'il sera battu par le député bloquiste Yves Lessard, élu aux dernières élections avec une écrasante majorité de 21 000 voix. Ce que Mercier offre à ceux qui le suivront aux urnes, c'est un vote de contestation. Pas contre le gouvernement fédéral en particulier, comme le fait le Bloc québécois. Contre l'immobilisme du système politique en général. «Les électeurs peuvent voter pour moi sans problème, a-t-il lancé. Rien ne va changer: l'argent continuera d'être mal administré, les riches continueront de s'enrichir, les pauvres de s'appauvrir, les routes seront toujours aussi croches et le système de santé, aussi déficient.»

Mercier a répété qu'en devenant candidat, il fait un réel geste politique dans une circonscription (Borduas) qui porte le nom d'un des signataires du Refus global. Il le fait aussi dans le but d'attirer les jeunes, ces décrocheurs de la politique, qui auront, espère-t-il, envie d'inscrire leur dissidence à travers lui.

La candidature de Mercier est peut-être un brin loufoque, mais son saut en politique s'est néanmoins fait dans les règles de l'art et le respect de la Loi électorale du Canada. Mercier a ainsi recueilli 100 signatures et craché les dollars nécessaires à une inscription officielle en jurant de ne pas utiliser la tribune de son émission Un gars le soir à V pour promouvoir sa candidature. En revanche, il a l'intention d'abuser des médias sociaux, notamment par l'entremise de sa page Facebook et de livrer sur ce terrain une lutte furieuse à Denis Coderre, Monsieur Twitter en personne.

Même s'il n'a que huit pancartes dans toute la circonscription, Mercier a pris la peine de faire imprimer un dépliant couleur dans lequel il énonce, sans fautes de frappe ni fautes d'orthographe, les grandes lignes de son programme et dans lequel il répond à quelques vraies questions, notamment sur le cynisme que certains lui reprocheront d'entretenir. Sa réponse à cet égard n'est pas bête: «Le cynisme, les politiciens l'entretiennent très bien eux-mêmes, ils font vraiment une belle job là-dessus. Ils n'ont pas besoin de moi».

Ses promesses électorales, en revanche, sont du pur délire. Mercier propose de prolonger l'été indien d'une semaine et Les midis de Véro à la radio jusqu'à minuit. Il propose aussi d'installer des flotteurs sur le pont Champlain, d'offrir un crédit d'impôt sur la porno payante à tous les résidants de la circonscription qui n'ont pas encore l'internet à haute vitesse, de doter l'armée canadienne d'un unique megajet qui fera peur au monde et d'interdire la vente de la drogue aux sourds et aux nains. S'il est élu, il remettra son salaire et ira à Ottawa le moins souvent possible, comme André Arthur.

Tout cela a le mérite d'être drôle, mais pas si fou que ça, du moins au plan de la démarche et de la critique qu'elle sous-tend. Et d'autant qu'on a souvent reproché aux humoristes de chialer contre la politique et de ne rien faire sinon d'entretenir l'apathie et l'indifférence. Mercier lui au moins, s'engage dans l'action. Et il le fait avec une arme de prédilection: l'humour, soeur de la subversion.

Ne pas voter est une chose. Annuler son vote, une autre. Avec son vote de contestation, Mercier offre une solution de rechange active et baveuse à l'abstention. Si je vivais dans Chambly, je me demande si je ne voterais pas pour lui. Tant qu'à voter pour un gros cave...