La toute première fois, c'était à la télévision il y a 10 ans, du temps où Christiane Charette enregistrait son émission les mercredis soir aux Bobards. Un de ses recherchistes lui avait proposé d'inviter un psychanalyste des cultures du nom de Clotaire Rapaille, de passage à Montréal pour lancer le nouveau riz Uncle Ben's.

Le monsieur avait dans les faits été envoyé à Montréal par Harbinger, une firme de marketing pour femmes de Toronto. Intriguée par son titre et par son nom bizarre, Christiane l'avait reçu sur son plateau et comme nous tous, elle fut instantanément séduite par sa verve, son bagout et par le sens de l'humour salutaire qu'il déploya lorsqu'elle l'appela à deux reprises «racaille» au lieu de Rapaille.

 

On peut affirmer sans exagérer que cette première prestation de Clotaire Rapaille au début des années 2000 sur les ondes québécoises allait non seulement faire époque mais créer un monstre médiatique. Scandaleux? Non, normal.

Pour les médias toujours à la recherche de commentateurs éloquents et de verbomoteurs polyvalents, qui ont une opinion sur tout et qui peuvent faire surgir des angles nouveaux, même sur un sujet aussi morne que le riz Uncle Ben's, et qui donnent toujours, toujours, un bon show, Clotaire Rapaille, c'était du bonbon. Il parlait bien. Il avait une pensée originale. Il nous faisait voir les choses autrement. Il était drôle et décapant. Du bonbon.

Très vite après son passage chez Christiane, Clotaire Rapaille devint un habitué d'Indicatif présent, l'émission de radio de Marie-France Bazzo, ce qui pour ainsi dire scella sa crédibilité. Pour ma part, à au moins trois reprises, j'ai fait appel aux analyses déjantées du célèbre Clotaire à l'émission d'actualité que j'animais le samedi à CKAC.

Il me semble par la suite avoir vu et entendu à quelques reprises Clotaire psychanalyser un quelconque événement ou un écrasement d'avion au téléjournal de la SRC. Et j'ai encore en mémoire un reportage sur Clotaire Rapaille nous montrant sa Bentley, sa Rolls, son château et son buste Louis XIV au milieu du salon clinquant où il accordait une entrevue à un journaliste chevronné de la télé publique. Le reportage d'au moins 10 minutes (une éternité en télévision) fut diffusé à l'intérieur du bulletin d'informations.

Tout cela pour dire que bien avant que le maire de Québec ne se mette à tripper cerveau reptilien avec Clotaire et ne l'engage à prix fort pour refaire l'image de Québec, les médias montréalais avaient mis la table et s'étaient portés garants de sa crédibilité. Et pas rien que les médias montréalais, si je me fie à ce portrait très flatteur paru dans la section Style and Fashion du New York Times de novembre 2004 où l'auteur de l'article célèbre le «Funny Frenchman» à pleine page.

À l'époque, aucun journaliste n'avait songé faire enquête sur l'homme ni contre-vérifier tous les éléments de son imposant CV. Et bien franchement, je ne vois pas ce que cela aurait changé.

Aujourd'hui comme hier, avec ou sans faussetés dans son CV, Clotaire Rapaille est toujours le même homme que nous avons découvert à l'émission de Christiane Charette il y a 10 ans.

Il n'est pas devenu un fabulateur du jour au lendemain. Il l'était sans doute déjà à ce moment-là et il l'est resté, notamment parce que la fabulation, l'extrapolation et la bullshit sont des parties intégrantes de ce domaine flou qu'est le «marketing-ting», comme le disait le personnage d'Alexis Martin dans Les boys.

Ce qui est bien avec Clotaire Rapaille et ce qui le distinguait du consultant en marketing ordinaire, c'est qu'il n'a jamais caché son jeu.

Un type qui se balade avec une étiquette de psychanalyste culturel n'essaie pas de nous faire croire qu'il est un comptable agréé ou un chercheur en médecine nucléaire. Il nous prévient d'entrée de jeu que la science qu'il pratique n'est pas seulement une science inexacte, ce n'est pas une science. C'est un hachis Parmentier d'intuitions, d'impressions, d'associations libres et cognitives. Et parfois ça marche. Parfois ça ne marche pas.

Autrement dit, ce n'est pas parce que Clotaire Rapaille a menti sur son enfance, fabulé sur le mauvais vol d'avion et transformé du bénévolat en un contrat de services pour le président de la République qu'il est un imposteur qui n'a jamais rien foutu de ses 10 doigts ni de son cerveau reptilien.

Pendant toutes ces années avant la découverte «stupéfiante» des faussetés dans son CV, il a été un consultant en marketing réputé et respecté qui monnayait ses services et ses intuitions auprès de Chrysler, Kellogg's, Uncle Ben's et Ritz Carlton.

Son histoire avec la ville de Québec aurait pu se terminer autrement que par la résiliation abrupte de son contrat. Pour cela, il aurait fallu que Clotaire réussisse à décoder Québec et l'esprit qui l'anime. Manifestement, il n'a rien compris à cette ville. C'est sa seule et unique erreur.

Pour joindre notre chroniqueuse : npetrows@lapresse.ca