L'expression risque de faire époque: la femme vintage. Après la robe Dior vintage, l'Aston Martin vintage, le Led Zep vintage, la Fender vintage, voici la femme vintage, une femme que le temps a bonifiée comme un grand vin et qui est devenue non pas une vieille friperie, mais un modèle classique et authentique, synonyme de qualité. Yesss!!!

C'est la sexologue Jocelyne Robert qui a trouvé cette jolie expression et qui en a fait le titre d'un nouveau livre, Les femmes vintage. Le bouquin est une sorte d'essai confession sur celles qui à partir de 40 ans et des poussières entrent dans le «no woman's land» social du vieillissement et se muent à leurs yeux et aux yeux des autres en sorcières ou pour le dire encore plus brutalement, en vieilles peaux.

«No woman's land» parce que dans nos sociétés obsédées par l'idéal de beauté de la jeunesse, vieillir est une tare, un tabou, l'ultime et affolant cauchemar. Pour cette société atteinte de jeunisme aigu, l'enfer ce n'est pas les autres. L'enfer c'est les vieux.

Jocelyne Robert raconte qu'elle a écrit ce livre pour apaiser ses propres angoisses existentielles au tournant de la soixantaine. Deux voix parfois contradictoires s'affrontent dans le récit: celle positive et pondéré de Jocelyne Robert, la sexologue rationnelle et analytique et celle de son double névrotique, Gwendoline Dubois: sorte de harpie dépressive qui fait écho au discours déprimant de la société à l'égard des femmes qui vieillissent, et qui rêvent de réécrire un livre à succès sur les origines des sexes qui aurait pour titre: «Les hommes viennent du centre de conditionnement physique. Les femmes viennent de la clinique de chirurgie plastique.»

Même si Gwendoline ne manque pas d'humour et d'autodérision, je préfère le discours de Jocelyne Robert. Notamment parce que le discours des femmes qui s'enfoncent dans la détestation d'elles-mêmes, on le connaît, on l'a mille fois entendu et parfois même, on se l'est servi à soi-même. Jocelyne Robert, elle, ne perd pas du temps à s'apitoyer sur elle-même, mais essaie de comprendre pourquoi 40 ans de féminisme «ont accouché d'une femme avec une tête de poule posée sur une paire de lolos éléphantesques».

Là où Jocelyne Robert innove et sort des sentiers battus, c'est en questionnant l'industrie de la chirurgie esthétique et la quête des femmes qui courent compulsivement après un idéal d'elles-mêmes qu'elles n'atteindront jamais. «Comment, demande-t-elle, peut-on avoir la naïveté de croire que la tentative de reproduire les traits de jeunesse et de beauté puisse engendrer autre chose qu'une contrefaçon?»

Même si la sexologue prend la peine de rappeler qu'elle n'a rien contre les femmes qui se soumettent à la dictature du bistouri, elle fait une brillante démonstration de la calamité de la «chirurgie pathétique» qui gomme les expressions du visage en le vidant de son humanité même, et finit par donner à toutes les femmes le même visage momifié, le même masque de mort.

«Loin de moi l'idée de ralentir le progrès, ajoute-t-elle. Je veux juste qu'on cesse de nous faire croire que les rides sont obscènes. Et que le corps intact (non retouché) d'une femme est abject. La grossièreté n'est pas dans les rides. La quadragénaire qui se donne des allures de nymphette et la sexagénaire qui se fait reconstruire en modèle trentenaire, me semblent bien plus obscènes.»

Certains trouveront peut-être ces propos trop durs. À mes yeux, ils sont aussi percutants que lumineux. Et surtout, ils ont le mérite de dire ce qu'on ne dit jamais sous prétexte que les femmes sont libres de faire ce qu'elles veulent avec elles-mêmes et qu'au nom de cette soi-disant liberté, elles seraient bien folles de ne pas profiter de ce que la chirurgie leur offre comme possibilités. L'ennui avec ce raisonnement c'est qu'il est fondé sur une liberté factice et une dépendance «à une médecine qui laisse croire qu'il est impossible qu'un corps vieillisse harmonieusement, sans son secours».

Pour Jocelyne Robert, la lutte contre le vieillissement devrait se faire à coup de recherches et non à coup de bistouri. Je seconde.

Ultimement, ce que Jocelyne Robert revendique est tout simple: le droit d'être une senior tonique, hédoniste, dynamique, sexuée et sexuelle vivant dans une société capable de concevoir que la beauté existe en dehors de la jeunesse.

Un seul bémol à ce livre délicieux: la photo de Jocelyne Robert sur la couverture. Maquillée, coiffée et éclairée comme ces stars des magazines qu'elle dénonce, la sexologue se contredit un brin avec cette photo cosmétique de pin up. Une photo plus naturelle ou une illustration auraient mieux servi son propos. Autrement, ce livre est un must pour toutes les femmes vintage de bonne volonté et toutes leurs petites et grandes soeurs.