Les instigateurs des controversés Prix du Canada en arts, les hommes d'affaires David Pecaut et Tony Gagliano, ont soumis au gouvernement conservateur une liste de partenaires qui appuient, disent-ils, leur projet. Le hic : La Presse a appris que bon nombre de ces partenaires n'avaient jamais entendu parler de ces prix, qui doivent recevoir une subvention fédérale de 25millions. La colère gronde chez les artistes.

Déjà décriés par plusieurs artistes et organismes culturels à la suite de la subvention de 25 millions que leur a accordée le gouvernement conservateur, les Prix du Canada en arts sont à nouveau dans l'eau chaude et soulèvent une fois de plus la colère des milieux culturels.

Au coeur de la controverse, une liste de 45 partenaires qui auraient donné leur assentiment et leur appui à la création de ces «Nobel canadiens» et dont le nom apparaît à la fin du document soumis au gouvernement. Or, après vérification, il semble que bon nombre de ceux présentés comme partenaires n'ont en fait jamais été consultés par les instigateurs des prix, David Pecaut et Tony Gagliano, deux hommes d'affaires de Toronto qui ont fondé le festival Luminato il y a deux ans.

Au mieux, certains partenaires comme le Ballet national du Canada, ont été contactés de façon informelle il y a huit mois par Jeff Melanson, le concepteur du projet, sans pour autant donner leur appui. Au pire, d'autres comme les Grands Ballets canadiens ou le Cirque du Soleil, n'ont eu aucun contact personnel, ni communication téléphonique ou électronique avec les organisateurs des prix.

Joint par courriel au Caire où il tente de trouver des fonds pour une tournée au Moyen-Orient, le directeur des Grands Ballets canadiens, Alain Dancyger, était particulièrement ulcéré d'apprendre que le nom de l'institution qu'il dirige figurait parmi les partenaires.

«Je tiens fortement à ajouter la voix des Grands Ballets à celles de mes collègues pour dénoncer non seulement la mention des Grands Ballets alors que nous n'avons JAMAIS été consultés, mais aussi la création même de ce fonds qui, en ce qui nous concerne, est une honte... à savoir immobiliser 25 millions alors que nos compagnies et nos artistes vont crever de faim à la suite de l'élimination de deux programmes-clé: Promart et Routes commerciales.»

Louis Robitaille, directeur artistique des Ballets Jazz de Montréal n'a jamais été consulté non plus même si le nom de sa compagnie figure sur la liste.

«J'ai pris connaissance hier soir de toute l'affaire, a-t-il affirmé. Avant cela, je n'avais jamais entendu parler de ces gens-là ni de leur prix. Je trouve ça indécent qu'ils se soient servis de notre nom sans même nous parler.»

Même son de cloche au Cirque du Soleil. La porte-parole Renée Claude Ménard affirme qu'aucun cadre de l'entreprise n'a été consulté ou même contacté par les gens des Prix du Canada. «Ils ne nous ont jamais demandé la permission pour utiliser notre nom ni pour reproduire la photo de l'acrobate Helena Lev qui figure sur la page couverture de leur document. C'est assez étonnant comme démarche.»

Marc Lalonde, le directeur de l'École nationale du cirque du Canada, a vu le nom de son établissement dans le document qui circule depuis lundi. Et bien qu'il connaisse Jeff Melanson, il ne se souvient d'aucune conversation avec lui à ce sujet. «Si le nom de notre école a été utilisé à des fins politiques, je trouve cela décevant. En aucun cas, l'école ne peut être présentée comme partenaire de ce projet.»

Marc Mayer, l'ex-directeur du Musée d'art contemporain de Montréal, a fait dire par son attachée de presse que ces prix étaient un gros point d'interrogation pour lui et qu'il n'avait aucun souvenir d'une conversation à ce sujet avec les responsables. Idem pour Don McLean, le recteur de l'École de musique Schulich à McGill, qui n'a jamais eu connaissance des détails de l'initiative.

Kevin Garland, la directrice du Ballet national du Canada, se souvient pour sa part d'une conversation informelle avec le concepteur Melanson. «C'était il y a environ huit mois. Il avait eu cette idée de prix et j'avoue qu'on ne l'a pas pris au sérieux. Par la suite, nous avons été surpris d'apprendre que ces prix avaient obtenu une subvention de 25 millions. Mais l'information nous présentant comme des partenaires est complètement fausse. J'espère que c'est une erreur de bonne foi.»

Antoni Cimolino, le directeur du prestigieux Festival de théâtre de Stratford, réplique de son côté: «Pour ce que j'en sais, nous n'avons jamais été consultés au sujet des prix ni d'un partenariat de notre part, mais sachez que toute information qui pourrait clarifier le malentendu serait bienvenue.»

Simon Brault, le directeur de l'École nationale de théâtre, connaît Jeff Melanson et David Pecaut, mais il affirme qu'il n'a jamais été consulté formellement ou même informellement pour le projet. Hier il s'interrogeait sur la légitimité de l'initiative.

«Si le problème des programmes éliminés était la mauvaise gestion, comme l'affirme le ministre Moore, il peut difficilement se servir de l'exemple des Prix du Canada comme un exemple de bonne gestion. Tout cela met encore plus en lumière l'urgence d'un geste fédéral significatif pour aider les artistes et les organismes à rayonner à l'international. Cessons de parler des vieux programmes et investissons au plus vite pour arrêter la saignée dans les contrats et les emplois en danse, en théâtre et dans les autres disciplines.»

Non seulement le document de présentation des Prix du Canada table sur de faux partenaires, mais il confirme que ces prix ne sont pas indépendants de Luminato, contrairement à ce que son coprésident a affirmé. «Les prix profiteront de l'infrastructure et des contacts de Luminato» écrit l'auteur du document remis au gouvernement, ajoutant que les gagnants des prix seront invités à se produire pendant la fin de semaine d'ouverture du festival torontois.

Côté budget, le document stipule que les dépenses pour la location des bureaux pour le marketing et le site web des Prix du Canada seront prises en charge par Luminato, preuves irréfutables d'une illusoire indépendance entre les deux entités. Quant à David Pecaut, celui qui vante les mérites des ces prix sur toutes les tribunes depuis une semaine, pour une fois, il n'a pas trouvé le temps de rappeler La Presse à ce sujet.