Le maire du Plateau Mont-Royal, Luc Ferrandez, est locataire. Il n'a pas les moyens d'acheter dans le quartier. Trop cher.

Il a raté une belle occasion au tournant des années 2000. Un duplex à 129 000$ près de chez lui, rue Chambord. «J'ai été idiot, dit-il. J'ai attendu, j'ai niaisé.»

Pourtant, à l'époque, il gagnait bien sa vie comme consultant. Il me dit son salaire puis regrette et me demande de ne pas l'écrire parce qu'il ne veut pas «avoir l'air fendant».

Lorsqu'il est devenu maire du Plateau, son salaire a baissé.

Il reçoit 72 000$ par année, plus une prime de 12 000$ non imposable, pour un total de 84 000$.

Mais il ne peut pas acheter dans le Plateau.

Bourgeois, le Plateau?

Non, proteste-t-il. Certains secteurs se sont embourgeoisés, sauf que 74% des résidants sont locataires, comparativement à 62% à Montréal, 73% dans Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension et 69% dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Et 30% de la population du Plateau vit sous le seuil de la pauvreté.

Depuis qu'il a adopté un règlement sur la circulation, on l'accuse d'être un bourgeois qui adopte des mesures bourgeoises pour défendre un quartier habité par des bourgeois.

Pourtant, son règlement n'a rien de... bourgeois. Ni rien de révolutionnaire. Des sens uniques qui détournent la circulation des rues secondaires vers les grandes artères et des rues rétrécies pour ralentir le trafic. Du gros bon sens.

Ferrandez défend son règlement. Et ses électeurs. Délicats, les résidants du Plateau qui pleurnichent dès qu'un gros camion passe dans une rue résidentielle? Non, dit-il. Le Plateau est envahi par les autos. Le nombre de voitures qui le traversent tous les jours sans s'y arrêter est énorme - l'équivalent de quatre fois le trafic du pont Champlain.

Mais ses détracteurs n'en ont rien à cirer de ces chiffres, et les accusations ont fusé. Le maire Ferrandez envoie la circulation lourde vers les arrondissements voisins, souvent plus pauvres. Pour qui les gens du Plateau se prennent-ils? Ils ont voulu vivre en ville, qu'ils endurent!

Ferrandez se rebiffe. «Les gens nous disent: "Endurez parce que vous avez choisi d'habiter en ville! Endurez parce que vous n'êtes pas de vrais résidants, mais des bourgeois qui sont venus par la suite! Endurez parce que c'est ici qu'est la culture. Endurez!" Eh bien! non, on n'endurera pas! On est 100 000 et on veut une qualité de vie.»

Le Plateau est une cible de choix. Projet Montréal y a raflé tous les sièges en novembre 2009. Ah! Ha! ont ricané certains observateurs de la scène municipale, combien de temps avant que le maire se casse la gueule avec des projets loufoques?

À peine un mois après son élection, Ferrandez a annoncé qu'il ne déneigerait plus les rues les fins de semaine. À la fin de l'été, il a lancé une chasse au bruit. Les délinquants qui font hurler les décibels devront payer des amendes pouvant atteindre 12 000$.

On l'a accusé d'être contre les commerces, un ayatollah qui veut tuer la scène artistique. Rien de moins. On frôle quasiment le génocide culturel.

Et dernière pièce qui complète le tableau: la décision récente de bannir les grands panneaux publicitaires du paysage du Plateau.

Les insultes se sont multipliées: granole fini, ayatollah, bourgeois, idéologue.

Pourtant, il applique le programme électoral pour lequel il a été élu.

Ces critiques n'ébranlent pas Ferrandez. «Que les autres arrondissements fassent la même chose», dit-il avec un sourire satisfait.

Je l'ai rencontré mercredi dans son bureau, perché au cinquième étage d'un immeuble sans grâce, à deux pas d'un poste de police. Un bureau microscopique caché au fond d'un couloir. Une table, deux chaises, une grande fenêtre.

Le maire dérange. Il n'a rien du politicien traditionnel. La langue de bois? Connaît pas. Au contraire. Il a un blogue. Il s'est défoulé en se payant la tête des journalistes, qu'il a traités de «mangeurs de carrés aux dattes» qui gonflent des «non-nouvelles». Il a aussi attaqué les fonctionnaires du ministère des Transports, qu'il a qualifiés d'«attardés sociaux». Il n'avait pas aimé leur conception de l'échangeur Turcot.

Et cette semaine, il en a rajouté en écrivant sur la nomination du nouveau chef de police. Il a d'abord égratigné les journalistes qui écrivent des «nouvelles frelatées» et décrivent les policiers comme «des gros jambons élevés en banlieue, scotchés dans leurs chars». Puis il a conclu: «So give me a fuc...ing break avec les défauts de la police.»

Fucking. Vraiment?

Luc Ferrandez part d'un grand éclat de rire. «Faudrait que je fasse attention», dit-il sans l'ombre d'un regret. À vélo, il se promène sans casque et brûle les feux rouges. «Quand on est maire, on ne peut pas faire ça», précise-t-il.

Mais on sent qu'il n'y croit pas.