Arrêtons de parler de ce ginseng rarissime et fragile qui pourrait ne pas survivre si on coupe les grands arbres du bois des Hirondelles, à Saint-Bruno.

Arrêtons de nous épancher sur telle ou telle espèce d'oiseau dont l'habitat serait ainsi mis en péril. Ou de nous inquiéter d'une plante d'une sorte ou d'une autre qui ne passionne personne à part les biologistes et dont l'équilibre serait ébranlé.

Tout ça est important, oui, mais le vrai problème avec le projet immobilier du sénateur libéral Paul Massicotte dans cette banlieue de la Rive-Sud, c'est qu'on s'en prend à toute la forêt.

Ce qui doit nous préoccuper, ce sont toutes les plantes, tous les oiseaux, tous les arbres, toutes les fleurs, tout l'oxygène, toute la verdure au complet de tout ce bois qu'on veut remplacer par de grosses maisons de banlieue.

Si ce n'est pas de l'étalement urbain, qu'on veut endiguer et pour lequel la Communauté métropolitaine de Montréal a fait toutes sortes de consultations et approuvé toutes sortes de plans, je ne vois pas ce que c'est.

Détruire une jolie forêt pour construire des maisons, c'est ce qu'on faisait il y a 50 ans quand on n'avait encore rien compris. Aujourd'hui, en 2012, on fait autre chose. On repense la banlieue. On construit près des gares. On rénove, on transforme en lofts les vieux centres commerciaux délaissés. On installe des toits verts sur les immeubles des noyaux villageois. On arrache l'asphalte et on installe des jardins communautaires dans les parkings. On relie les secteurs résidentiels aux gares avec des pistes cyclables ou de ski de fond. On cherche des idées pour toujours faire mieux sans déraciner le moindre pissenlit.

On ne s'attend peut-être pas à tout ça de la mairie de Saint-Bruno, qui approuve le projet de construction dans le bois des Hirondelles. Mais que le maire ne voie pas à quel point transformer une forêt en zone de construction est contraire aux principes les plus élémentaires de développement durable, et qu'il rejette ensuite l'opposition en disant notamment que cela relève surtout du syndrome «pas dans ma cour», est sidérant. (Ici, je tiens à préciser que je n'habite pas et que je n'ai jamais habité à Saint-Bruno, encore moins au Sommet Trinité, et que ce n'est pas dans mes plans non plus.)

Est-il nécessaire de mentionner que Saint-Bruno est visé par le nouveau Plan métropolitain d'aménagement et de développement? Et que ce PMAD, approuvé par la municipalité de Saint-Bruno, précise qu'il faut maintenant densifier et construire près des points de chute des transports collectifs, pas là-haut sur la colline?

Est-ce que ce plan veut dire quelque chose?

Et que dire du fait qu'un sénateur (qui a déjà suscité la controverse dans le dossier des courses de chevaux) mène un tel projet et persiste malgré les protestations citoyennes? Y a-t-il un libéral dans l'avion pour lui dire de repenser à son affaire? Et pour lui expliquer aussi que son obstination confirme à peu près les pires choses que néo-démocrates et conservateurs pourront dire ensuite sur la déconnexion de ce parti avec les enjeux actuels de l'aménagement du territoire?

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Petite ville exemplaire avec ses pentes de ski, ses parcs, ses beaux quartiers boisés, ses écoles de pierre et son allure presque aussi décontractée chic que certaines banlieues universitaires bostoniennes, Saint-Bruno voudrait-il devenir chauve comme les rues remplies de faux manoirs près du DIX30? Pourtant, de Versailles à Scarsdale, de la verdure, des arbres, de l'ombre, c'est ce que cherchent les gens amateurs de banlieues calmes et fraîches, ginseng à cinq folioles ou pas.

Bien sûr, sur papier, le plan immobilier de La Futaie est séduisant. Et de la verdure, il y en a beaucoup sur les photos. Tous les mots-clés du moment sont là: développement durable, pavé alvéolé pour limiter le ruissellement des eaux, constructions remplissant les critères LEED, géothermie, toiture végétale, etc.

En fait, mis à part l'emplacement, on pourrait dire que tout ça est pratiquement exemplaire. «Tous les aspects du projet visent à limiter l'impact sur l'environnement», dit la brochure. Le hic, c'est qu'on n'a pas le droit d'écrire ça quand on veut construire dans une forêt.

Une forêt, c'est une forêt. Et la ceinture métropolitaine en a de moins en moins. Ce n'est pas parce que c'est zoné blanc, donc pour la construction, qu'on peut arriver avec ses deux par quatre sans se poser de questions.

Surtout que du zoné blanc pour la construction, hors forêt, il y en a...

«Oui, mais c'est moins bucolique, moins joli, pas assez vert pour des projets comme celui de La Futaie...» Je vous entends d'ici.

Sauf que ce n'est pas grave si les autres terrains blancs sont sans charme. On n'a qu'à corriger ça. «Tous les arbres abattus seront compensés par une plantation d'arbres sur un terrain déterminé par la Ville», peut-on lire dans la brochure du promoteur. Eh bien! plantons et replantons, maintenant. Mais ailleurs. Créons de nouveaux lieux boisés. Ne détruisons pas ceux qui existent déjà.

Si on peut changer d'idée et ne pas construire de gare à Charlemagne après avoir exproprié un homme et rasé sa maison ainsi que son gagne-pain, on peut bien dire à un sénateur libéral que, finalement, le petit bois, ce n'est pas pour construire.