«Maman, à Noël, on mange des choses bonnes, non? Comme des gâteaux, tout ça...

- Oui, effectivement, ai-je répondu à mon fils, qui m'interrogeait sur les paniers de Noël pour les démunis que, partout autour de lui, on encourage à remplir.

- Alors pourquoi pour les pauvres on donne toujours des boîtes de conserve de choses, genre, haricots? C'est pas si bon...»

Il se demandait en fait pourquoi je ne voulais pas aller porter des cup cakes à un organisme qui ramasse des denrées non périssables pour le temps des Fêtes.

«Pourquoi pas?

- Parce que, d'ici à ce que ça arrive chez des gens, ça sera sec, peut-être même un peu moisi...

- Alors, les pauvres mangent juste de la soupe en boîte, à Noël?

- Non, pas juste ça, il y a des organismes qui leur remettent aussi des dindes, des fruits.

- C'est ce que je disais, on pourrait bien apporter autre chose!»

On s'est finalement entendus sur l'idée de donner des gâteaux, mais à des gens en mesure de les manger tout de suite. Puis j'ai classé la conversation jusqu'à ce que, un peu plus tard ce soir-là, je tombe sur un article du magazine Edible Brooklyn.

Et là, en toutes lettres, le militant anti-pauvreté américain Joel Berg posait lui aussi un regard plus qu'interrogateur sur les paradoxes de ces activités de charité ponctuelle du temps des Fêtes.

En fait, cet important acteur de la lutte contre la faim à New York est carrément contre les «paniers» et autres récoltes de nourriture auprès des particuliers.

«Ces récoltes de denrées en boîte sont à peu près le pire moyen de lutter contre la faim liée à la pauvreté», m'a-t-il répété ensuite en entrevue, quand je l'ai joint aux bureaux de la New York City Coalition Against Hunger, qui chapeaute 1200 organismes - soupes populaires et banques alimentaires - de lutte contre la faim et la pauvreté dans la métropole américaine.

«Si on vous disait que les personnes âgées dans votre quartier n'ont pas assez d'argent pour se procurer des médicaments, iriez-vous dans votre pharmacie chercher vos vieux flacons à moitié finis pour leur en donner? Eh bien! C'est la même chose avec la nourriture.»

Selon Joel Berg, il y a 1000 autres façons d'aider.

«Si on tient à apporter une aide directe, alors donnons de l'argent aux organismes qui offrent de la nourriture aux démunis. Ils sauront beaucoup mieux quoi acheter comme aliments et ils ont de meilleurs prix, dans le gros...»

Toutefois, continue-t-il, le problème de la pauvreté et de la faim est beaucoup plus vaste et doit être considéré à sa source. «Donner à un seul moment de l'année donne l'impression qu'on aide à régler le problème, mais c'est faux.»

La faim dure toute l'année.

«Et toute l'année on devrait tous travailler à faire en sorte que ces collectes ne soient pas nécessaires.»

Selon M. Berg, il y a quelque chose de «narcissique» dans cette idée d'aller travailler dans des maisons d'accueil pour sans-abri dans le temps des Fêtes ou de débarrasser son garde-manger de ses vieilles conserves et de ses boîtes de craquelins jamais ouvertes pour «aider les pauvres».

Cela nous aide surtout nous, affirme-t-il, à nous sentir mieux.

***

Pourtant, la pauvreté et la mauvaise alimentation qui en découle nous touchent tous. Par exemple, rappelle-t-il, elle est directement liée au problème d'obésité qui plombe nos systèmes de santé.

Il y a un lien, notamment, entre pauvreté et consommation de malbouffe. Les légumes frais coûtent cher. Pas les boissons gazeuses ni les hot-dogs de la pire qualité.

Et si vous n'avez qu'un sac de chips et un Coke géant dans votre taudis pour vous tenir compagnie par une soirée de solitude aiguë... Et si vous n'avez que du Kraft Dinner à offrir à vos enfants pour souper et que demain est incertain, allez-vous arrêter de manger au milieu de l'assiette? Et les boissons sucrées en poudre ne sont-elles pas moins chères que le lait bio écrémé?

Selon M. Berg, il faut tenir compte de ces facteurs psychosociaux quand on analyse les problèmes alimentaires des démunis. Toute la mouvance actuelle qui prône le rejet de toute nourriture industrielle au profit du nature et du fait maison est pour le moment, croit-il, essentiellement irréaliste. Voire plutôt élitiste.

Les pauvres n'ont pas le temps de jardiner, ni de se mitonner de bons petits plats, ni de courir les marchés fermiers. Quand on a deux emplois ou alors des journées de 10 heures de travail, plus 2 heures de transports en commun par jour, et des enfants à suivre de près côté devoirs - n'est-ce pas l'autre sermon gouvernemental du moment? -, on n'a pas le temps de manger autrement. La maman pauvre qui faisait de délicieux ragoûts avec trois fois rien est, selon lui, un souvenir d'autrefois qui ne tient plus dans le monde urbain actuel.

Bref, croit le militant qui a longtemps travaillé dans l'administration Clinton, «l'alimentation santé ne marchera pas tant qu'elle se sera pas conviviale et abordable». Il faut tenir compte de la réalité terre-à-terre de la vie des démunis, dont, notamment, le peu de temps dont les gens disposent pour manger.

L'obésité, en fait, n'est pas qu'un problème d'alimentation ni de santé. C'est, avec la pauvreté, un des morceaux d'un vaste puzzle économique et social déréglé. Comme ce grand trou affamé et triste qu'on cherche à combler avec nos paniers.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca