Il y a quelque chose de profondément agaçant dans ces recherches, documents, recommandations, qu'on sert ponctuellement aux parents pour nous dire comment élever nos enfants.

Pédagogie, alimentation, exercice, sécurité... On ne fait jamais la bonne chose.

Les films qu'ils regardent sont trop violents (tout comme leurs jeux vidéo), ils ne lisent pas assez, consomment trop de viande rouge ou de lait complet. On n'est pas assez stricts ou alors trop sévères (voir le dernier débat sur la fessée).

 

On est toujours tout croches.

Si les femmes se retrouvent tant, actuellement, dans les mères indignes et autres (Z) imparfaites popularisées dans les blogues, livres et sur l'internet, ce n'est pas parce qu'elles sont plus délinquantes qu'avant. C'est parce qu'elles ont l'impression de l'être face à toutes les directives qu'on leur assène et qui renforcent leur sentiment de ne jamais être adéquates.

Pourtant, elles n'ont pas de raison de se sentir si nulles. Autrefois, les parents nous laissaient aller en voiture sans ceinture de sécurité et nous faisaient manger des desserts en poudres hyper chimiques, en sirotant un gin tonic, cigarette à la main, façon Mad Men.

Sauf qu'à force de se faire dire «faites comme ci et pas comme ça», les parents sont en train de déborder, de ne plus savoir où donner de la tête. Et de perdre patience.

Surtout que les directives finissent souvent par se contredire entre elles.

Entre mes trois enfants, j'ai eu droit à trois politiques concernant les nombrils à la naissance, trois directives sur la position correcte pour le dodo des nourrissons et mille instructions concernant l'allaitement, y compris celles d'une pédiatre plutôt pro-biberon (dont j'ai appris plus tard qu'elle était liée à un fabricant de préparations lactées) qui entraient en collision totale avec celles de la Société canadienne de pédiatrie.

Et à travers toutes ces années, on a connu les vidéos qui prétendaient rendre les bébés plus intelligents et l'apparition du langage par signes pour nourrissons. On s'est fait dire de ne jamais laisser les petits sur le ventre, pour ensuite être avertis du danger des têtes aplaties... Et combien de rappels y a-t-il eu sur des objets pour enfants dont on vantait la veille les mérites?

Comment peut-on s'attendre à établir des politiques de santé publique efficaces si les parents ont l'impression d'être constamment scrutés, repris, corrigés et brassés dans tous les sens?

Même si les intentions sont les meilleures du monde, à trop vouloir donner des instructions aux parents sur l'art d'élever leurs enfants, n'est-on pas en train de leur enlever leurs outils les plus essentiels et souvent les plus utiles et efficaces: instinct et gros bon sens?

* * *

Cette réticence de plus en plus présente est dommage. Car comme bien d'autres, ce nouveau document éducatif de Jeunes en forme Canada, dont ma collègue Silvia vous parle ci-contre, contient beaucoup de grandes vérités importantes.

On y apprend, par exemple, que les enfants commencent à regarder la télé à 5 mois, alors que jadis, quand j'étais enfant, au tout début des années 70, c'était à 4 ans. Avouez que c'est alarmant. Clairement alarmant.

Mais ce qu'on ne dit pas, c'est qu'à cette époque, il y avait très peu d'émissions pour enfants et que quoi qu'en disent les légendes entretenues par les nostalgiques, la qualité de la télé n'était pas si géniale que ça. Croyez-moi, il était aisé de dire non à Bobino ou Grujot et Délicat, en échange d'une séance de corde à danser ou de marelle.

Plutôt que de donner l'impression aux parents qu'ils sont incapables d'empêcher leurs enfants de s'intéresser au téléviseur, ne devrait-on pas tenir compte de cette réalité incontournable? Le dire avec des mots clairs: la télé, c'est cool et pas étonnant que les enfants adorent. Et partir de là pour amener tout le monde à bouger plutôt qu'en faisant semblant qu'avec assez de volonté, cet attrait disparaîtra?

Car cette attirance pour les écrans qui immobilisent les petits ne s'évaporera pas. Et sans réflexion réaliste, lucide, tout ce qu'il restera aux voeux pieux pro-exercice sera la culpabilité parentale, véritable porte ouverte au premier spécialiste du marketing prêt à nous vendre une solution pour la calmer.

Or justement, ce dont les enfants ont le plus besoin pour faire plus d'activité physique ne s'achète pas. Le temps, l'espace, l'ennui à remplir, la patience des adultes prêts à endurer le bruit et l'énergie des enfants qui bougent, le sentiment de sécurité dans la communauté nécessaire pour laisser les petits jouer dehors, la culture encourageant le sport...

Tout cela est flou, intangible. Rien ne se mesure ni ne se commande sur l'internet. Et rien ne se résume facilement en directives de santé publique.