Je ne sais pas trop par où commencer cette chronique tellement je suis emballée par cette idée aussi folle qu'inspirante pour Montréal.

Je ne la cherchais pas. Quelqu'un me l'a lancée au hasard d'une conversation sur autre chose. Et depuis, je rêve que l'idée se propage comme un virus et donne envie à nos politiciens et à nos fonctionnaires de réfléchir autrement.

 

Cette idée, c'est de ne pas détruire l'échangeur Turcot, comme le proposent les gouvernements.

Évidemment, on ne le laisserait pas tel quel, puisque la structure n'est plus assez forte pour porter tous les bouchons qui l'assaillent régulièrement. La circulation, on la mettrait ailleurs, on la diminuerait, on la rationnaliserait, on la transports-en-commun-erait.

Mais au lieu de dépenser des centaines de millions sur sa démolition, pourquoi ne pas garder Turcot pour en faire un parc linéaire suspendu, façon High Line à New York ou Promenade plantée, à Paris?

On y aménage des pistes de ski de fond l'hiver, de vélo de montagne ou de vélo tout court l'été. À la limite, on y laisse courir un super train électrique rapide pour aller vers l'ouest. Mais pour le reste, on y laisse les piétons jogger, les enfants glisser, les gens marcher au-dessus de la ville. On accroche un café sur un des points les plus élevés, avec une terrasse et beaucoup de fenêtres vitrées, pour qu'été comme hiver, on puisse y contempler quelques-uns des plus beaux panoramas de la ville.

On y installe du mobilier urbain, on laisse pousser l'herbe. On recrée, à des dizaines de pieds du sol, des champs de fleurs comme ceux qui bordent nos autoroutes l'été.

Ne serait-ce pas magique?

Fou?

Pensez-vous que les gens qui ont lancé la construction de l'échangeur dans les années 1960 ne l'étaient pas un peu? Eux, et tous ceux qui lancent des projets fabuleux dans des villes qui se démarquent par leur attitude architecturale aussi inspirante qu'effrontée...

Pourquoi ne pas faire preuve du même courage, de la même audace? Pourquoi ne pas reprendre ce projet avant-gardiste à l'époque, porté par l'enthousiasme créatif de l'Expo 67 (l'échangeur a été inauguré pour cet événement), et lui redonner un nouveau rôle, tout aussi futuriste, pour aujourd'hui? Le tout en conservant dans notre environnement urbain ce témoin d'une autre époque, intervention totalement datée, marquante?

«En 1967, quand on a construit l'échangeur, on était dans l'utopie, le rêve», commente le photographe André Denis, qui expose actuellement une série d'images de l'énorme structure, à la maison de la culture Marie-Uguay, à Verdun. «Il faut retrouver cet imaginaire-là.»

Denis, qui est fasciné par la pachidermique structure et photographie l'échangeur depuis plusieurs années, a tout de suite adoré l'idée, quand je lui en ai parlé en entrevue. Le concept, c'est Dinu Bumbaru d'Héritage Montréal qui m'en a d'abord parlé.

«Ce serait extraordinaire! a ajouté M. Denis. L'idée de donner accès aux piétons et aux cyclistes aux points de vue qu'offre la structure est magnifique. C'est comme ça qu'il faut élargir le débat.» (Le photographe, lui, avait d'abord pensé qu'on pourrait demander à Armand Vaillancourt d'en faire une sculpture géante...)

Tous ceux qui sont allés faire un tour sur le parc High Line de New York, nouvellement inauguré, et aménagé sur une ancienne voie ferrée suspendue sur le flanc sud-ouest de Manhattan, comprendront le potentiel du projet. Le charme urbain magique qu'il pourrait créer.

En marchant sur le High Line, on se sent littéralement suspendu au-dessus de la folie de la ville. Des plantes sauvages y créent une atmosphère à la fois citadine et poétique. Et toutes sortes de mobiliers permettent de s'y arrêter. De s'y poser. On découvre la ville sous un autre angle, dans un autre état d'esprit.

Le tout a aussi permis de conserver le chemin de fer, témoin d'une époque importante, où on acheminait encore la marchandise par chemin de fer, y compris la viande allant vers le Meat Packing District. Historiquement, cette restauration est importante. Quand il a été construit, dans les années 1930, ce chemin de fer suspendu était, lui aussi, un projet fou. Imaginez: élever la voie ferrée pour dégager la circulation au sol et permettre le déchargement directement dans les entrepôts.

Un tel parc suspendu existe aussi à Paris, rappelle M. Bumbaru. On l'appelle Promenade plantée et il traverse le 12e arrondissement, lui aussi sur un chemin de fer. Et la capitale parisienne ne se demande plus si c'était une bonne idée de transformer ainsi ce chemin désuet.

Montréal, s'il acceptait de se lancer dans un projet aussi allumé que fut jadis l'Expo ou l'échangeur lui-même ou le métro ou le Montréal souterrain, pourrait se targuer de la transformation verte de son échangeur géant. Et il pourrait offrir à ses résidants et visiteurs un nouvel espace ludique, apaisant et à l'architecture intéressante puisque la structure, comme le montrent bien les photos d'André Denis, prend une tout autre allure quand notre regard lui donne un autre sens, beaucoup plus positif.

À ceux qui trouvent cette idée irréaliste, j'aimerais rappeler ces phrases prononcées par le maire de New York, Michael Bloomberg, au moment de l'inauguration du parc High Line, nouveau joyau de Manhattan, en juin dernier. «Plutôt que de détruire cette partie de notre histoire, nous l'avons recyclée et transformée en un parc qui va ravir nos habitants en leur offrant un nouvel espace vert, et créer des emplois. Il y a 10 ans, ses détracteurs pensaient que la High Line était une horreur. Heureusement, une poignée de gens ont pensé autrement.»

Relisez cette phrase, mais à la place de High Line, pensez Turcot.