Un second manifeste vient d'atterrir dans le débat sur les accommodements raisonnables. Contrairement au précédent – Manifeste pour un Québec pluraliste – qui prônait, dans la foulée du rapport Bouchard-Taylor, une laïcité «ouverte», celui-ci, intitulé Pour un Québec laïque et pluraliste, réclame l'inscription dans nos lois d'une laïcité totale.

Les «pluralistes» étaient surtout des professeurs de philosophie. Les «laïques» sont surtout des sociologues. Parmi les initiateurs de ce second manifeste, on retrouve quelques vétérans de l'ancien Mouvement laïque (Jacques Godbout, Daniel Baril, Guy Rocher), de même que des souverainistes connus (Bernard Landry, Jacques Beauchemin, Jean-François Lisée, etc.), ce qui n'a rien de surprenant puisque le PQ fait maintenant du culte de la laïcité son cheval de bataille. Nombre de signataires viennent toutefois d'horizons très divers.

Personnellement, je préfère la première approche à la seconde, qui m'apparaît beaucoup trop rigide, et en rupture complète avec la culture politique nord-américaine. Il reste que ce second manifeste, aussi contestable soit-il, ajoute au débat une réflexion claire et intelligente.

Il y a une chose, toutefois, qui m'a fait sursauter. On affirme que «la laïcité fait partie de l'histoire du Québec». Ah oui? C'est bien la première nouvelle qu'on en ait! Certes, il y eut de brèves flambées, que cite le manifeste: Fleury Mesplet, imprimeur disciple de Voltaire, les Patriotes, l'Institut canadien, le Refus Global, le Mouvement laïque de langue française (MLF) des années 60... Mais ces épisodes fugaces ne constituent pas une tradition.

Le fait que le Québec se soit durablement dégagé de la gangue cléricale qui l'étouffait n'est pas synonyme d'une aspiration à la laïcité pure et dure telle que la définit le manifeste. La Révolution tranquille a soustrait l'État à l'emprise de l'Église, mais n'a jamais véhiculé l'idée d'une laïcité à la française.

«Si l'idée d'un État laïque est antérieure aux Patriotes, dit le manifeste, on ne peut pas dire que la laïcité est une réaction défensive face aux minorités issues de l'immigration récente.» On comprend ses auteurs de vouloir se dissocier de ceux pour qui la laïcité ne sert qu'à justifier leur aversion face à l'immigration musulmane. Mais ce n'est pas en reconstruisant le passé qu'ils y parviendront.

Si, comme le prétend le manifeste, la laïcité avait «marqué le paysage politique québécois», le MLF ne serait pas tombé dans l'oubli dès la fin des années 60 (je me demande combien de membres ce mouvement a-t-il comptés ces dernières décennies, à part Daniel Baril qui en fut très longtemps l'unique porte-parole). Et Jean-Charles Harvey, le seul écrivain qui ait osé, en son temps, se dresser contre l'Église, serait un héros national, bien devant Félix Leclerc. Mais dans ce Québec parsemé de lieux honorant le chanoine Groulx, aucun gouvernement, pas davantage celui de Bernard Landry que les autres, n'a trouvé le moyen de dédier une école ou une station de métro à Jean-Charles Harvey.

Il est tout aussi intrigant de voir les Bernard Landry, Yves Martin et Guy Rocher sortir l'ancien premier ministre Adélard Godbout du placard où ils l'ont eux-mêmes confiné, à l'instar de tous les autres artisans de la Révolution tranquille. Pour les besoins de la cause, le manifeste exhume ce personnage qui fut effectivement un homme d'avant-garde dont le bilan législatif a été extraordinairement progressiste... mais dont la mémoire fut enterrée parce qu'il était un libéral pas particulièrement nationaliste.

Triste, mais vrai: cet engouement pour le concept de laïcité qui balaie le Québec est un phénomène nouveau, et il a coïncidé très exactement avec la crise des accommodements raisonnables et le virage identitaire du PQ.