Finalement, cette campagne que l'on croyait jouée d'avance nous réservait quelques surprises: les conservateurs perdent du terrain, et s'ils semblent encore assurés de former le gouvernement, rien ne dit que ce gouvernement ne sera pas encore plus minoritaire que le précédent.

Et les libéraux, que l'on croyait promis à l'écrasement, ont retrouvé une erre d'aller à la faveur de la crise financière mondiale. Encore une fois, Stéphane Dion peut se féliciter d'avoir été sous-estimé: ses gains récents, tout modestes soient-ils, lui donnent l'air d'un vainqueur. Reste à savoir si les libéraux seront assez bien organisés pour profiter du petit «momentum» dont ils jouissent actuellement. Au Québec, où le parti est moribond, cela serait fort surprenant.

 

La campagne a fait ressortir crûment les failles du premier ministre. Tous les Canadiens constatent maintenant à quel point le gouvernement Harper est celui d'un seul homme; ses ministres restent muets, et ses candidats n'osent même pas participer à des débats locaux.

Au niveau des perceptions, le calme olympien qui, au départ, donnait à M. Harper une image de leader est devenu, face à une crise financière, synonyme de passivité et d'indifférence.

Il va de soi que le gouvernement canadien ne peut rien contre la dérive boursière, et l'on ne s'attendait pas à ce que M. Harper se transforme en travailleur de rue dégoulinant de «compassion», mais il aurait pu avoir l'air conscient de l'ampleur mondiale de la crise. Or, il s'est comporté comme s'il vivait dans un aquarium, complètement coupé du reste du monde - la même mentalité insulaire qui l'a si mal servi sur la scène internationale.

Les chefs d'État européens sont en état d'alerte. Mais au Canada, rien n'entame la placidité du premier ministre... qui est allé jusqu'à dire, dans une remarque qui le hantera longtemps, que la crise a l'avantage d'offrir de bonnes occasions d'investissements sur les marchés boursiers!

Quand une crise frappe, les citoyens veulent un gouvernement interventionniste. Vers qui, vers quoi d'autre pourraient-ils se tourner? Cette réaction, ces jours-ci, avantage le démocrate Obama. Au Canada, elle profite aux libéraux, même si le plan proposé par M. Dion est aussi fumeux qu'un alignement de bulles de savon. N'importe, les libéraux donnent l'impression de vouloir agir.

Au Québec, les conservateurs - ou plutôt M. Harper, puisque tout se ramène à lui - ont été les artisans de leur propre malheur. Comment se fait-il que le premier ministre n'ait pas profité de ses deux années au pouvoir - et des sondages qui le favorisaient - pour recruter des têtes d'affiche dans la province entre toutes où il espérait faire des gains majeurs?

La fournée 2008 ne s'annonce pas plus brillante que celle de 2006. Pis encore, les tories risquent de perdre aux mains d'une obscure bloquiste leur ministre québécois le plus compétent (Michael Fortier). La tentative de sauvetage de dernière minute lancée par le maire Tremblay et le ministre provincial Raymond Bachand a l'air d'une manoeuvre désespérée. Le ministre Blackburn semble en danger dans son comté. Maxime Bernier est hors-jeu. Restent Lawrence Cannon et Josée Verner, dont l'ineptie congénitale a transformé un événement mineur (les coupes dans certains programmes culturels) en crise majeure.

Même quand on l'a interrogée sur une rumeur selon laquelle les tories voudraient fermer Radio-Canada (!), elle n'a rien trouvé à répondre que cette remarque d'une infinie platitude: «Ce n'est pas dans la plateforme électorale»... alors que n'importe quel néophyte aurait senti qu'il fallait s'écrier passionnément que jamais-le-gouvernement-ne-laissera-tomber-cette-grande-institution-qui-fait-la-fierté-du-Canada, etc., etc.

Sur l'autre question dont le Bloc québécois a fait ses choux gras à grand renfort de démagogie - les sentences pour jeunes criminels -, comment se fait-il que pas un seul conservateur québécois n'ait été capable de ramener les pendules à l'heure? Encore là, c'est M. Harper qui a défendu seul son projet, alors qu'il avait déjà tous les autres dossiers sur les bras.

Les conservateurs ont enfin été bien mal inspirés de lancer le ministre Fortier à l'attaque du Bloc, l'argument étant que les députés bloquistes coûtent cher pour ce qu'ils rapportent au Québec. Cet argument se discute, mais aller choisir comme messager un sénateur non élu pour critiquer des élus, c'était vraiment se moquer du monde.